ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Matthew Fournier
Rudolf Höller est président du tribunal d’une petite ville allemande, à l’aube de prendre sa retraite, et vit avec ses deux sœurs (Vera et Clara) dans leur vieille maison familiale. Vera excelle dans son rôle de ménagère, éperdue d’une admiration aveugle pour son frère, et récolte même de sa part certains bénéfices habituellement associés au mariage. Clara, pour sa part, est prisonnière de sa chaise roulante, rendue paraplégique suite à un bombardement, et déteste sa famille d’une façon plutôt ouverte.
Les deux sœurs, pendant le premier acte, sont fébriles; comme chaque année, le 7 octobre, elles célébreront avec leur frère l’anniversaire de Himmler. Rudolf, qui est redevenu «respectable» après s’être terré dans un sous-sol pendant 10 ans, était pendant la guerre un haut gradé SS et il voue encore clandestinement un culte au IIIe Reich. Il rentre donc à la maison juste à temps pour le deuxième acte, pendant lequel aura lieu la traditionnelle cérémonie immuable où Vera et lui répéteront devant Clara les mêmes gestes et auront les mêmes conversations. Rudolf revêt son uniforme d’antan, ils se saoulent et discutent avec nostalgie d’une époque révolue.
Sous-titrée «Comédie de l’âme allemande», cette pièce de Thomas Bernhard, écrite en 1982, n’a pas pris une ride. Le grotesque des tirades antisémites et la perception des personnages du fascisme comme idéal de société m’ont rappelé certaines scènes d’un film de Cesare Canevari sorti en 1977, The Gestapo’s Last Orgy, une malaisante démonstration de fanatisme, mais l’œuvre de Berhnard est de bien meilleur goût.
Les dialogues incisifs débordent d’insultes et nous font sentir que ces gens-là se tiraillent depuis fort longtemps, que c’est même devenu pour eux une rassurante habitude. Gabriel Arcand, dans la peau de Höller, est fort convainquant, magistral même, un monstre sacré au sommet de son art. Violette Chauveau, dans la peau de Vera, habite son personnage complètement, et Marie-France Lambert excelle dans la peau de cette Clara à la gestuelle limitée, mais au regard très évocateur.
Arcand et Chauveau «s’enfargent» par moments dans leur texte, mais leur performance est autrement sans fausses notes. Tellement que, pendant les applaudissements de la fin, quand ils sortent de leur personnage pour humblement recueillir l’admiration des spectateurs, ils sont presque méconnaissables.
La mise en scène sobre et fonctionnelle fait mouche, et les décors et les costumes sont parfaitement adaptés aux années 70 où l’action est située. On en ressort avec une évocation plus intime d’un phénomène autrement difficile à conceptualiser, une idée plus précise des mécanismes de la haine, qui se transmettent souvent au niveau familial. C’est du théâtre, certes, mais ces gens-là existent.
La pièce est présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 5 décembre 2015 et vous pouvez visiter leur site web pour plus de détails.
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Par Matthew Fournier
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