«Tu iras la chercher» de Guillaume Corbeil à l'ESPACE GO – Bible urbaine

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«Tu iras la chercher» de Guillaume Corbeil à l’ESPACE GO

«Tu iras la chercher» de Guillaume Corbeil à l’ESPACE GO

Je est un autre

Publié le 14 mars 2014 par Isabelle Léger

Crédit photo : Caroline Laberge

De retour chez elle, après avoir passé un moment d’une durée impossible à déterminer avec une amie qu’elle ne reconnaît plus, une femme s’assoit devant son téléviseur. Soudain, quelque chose la pousse à remplir une valise et à sauter dans le premier taxi pour prendre le premier avion. Quoi? La poursuite d’une autre femme. Cette autre est peut-être elle-même, mais elle n’en est pas certaine. Elle doit la rejoindre, mais celle-ci a pris de l’avance sur elle.

«Es-tu moi?» Voilà, à peu de chose près, la seule phrase dite à la première personne dans la fugue théâtrale présentée dans la deuxième salle de l’ESPACE GO. Un soliloque énoncé entièrement au tu. Exploration identitaire, représentation de la perpétuelle recherche de soi, Guillaume Corbeil et Sophie Cadieux proposent ici une œuvre hautement philosophique, incarnée avec beaucoup de sensibilité par une Marie-France Lambert en grande forme.

Comment savoir si les mots que nous disons sont bien les nôtres? Si nos rêves sont bien les nôtres? Si nous avons bien vécu ce dont nous nous souvenons? Les évènements ne sont-ils pas qu’une suite de répétitions et de reproductions? Le personnage est plongé ainsi dans un doute si profond que même la prémisse cartésienne se dérobe – est-ce moi qui pense, est-ce que j’existe? Un éclair blanc, une obsession qui serait le contraire d’une idée fixe le pousse cycliquement dans une quête au bout de laquelle il arrivera peut-être à fusionner l’image projetée de lui-même et sa forme originale. À tout le moins espère-t-il réduire la distance peu à peu, chaque fois qu’il repart «la chercher».

Fort heureusement pour le spectateur, cette distanciation ne se répercute pas dans l’écriture ni accentuée dans le jeu. En effet, Marie-France Lambert livre ce texte avec une justesse dans la gestuelle et un naturel engageant dans les inflexions. «Mais en même temps, qu’est-ce que le naturel?»

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Il faut dire que les mots qu’elle a à défendre, s’ils renvoient à la discussion platonicienne qui oppose l’image au simulacre, s’ancrent dans le réel par une poésie actuelle. Bien servie par un décor simple et évocateur de portes et de corridors, la mise en scène illustre de belle façon les variations dans les reprises de la quête de soi. Le chemin vers la connaissance et l’acceptation de soi n’est pas fait, comme le craint le personnage, d’une succession de copies à l’identique. Si le nœud demeure le même, la façon de l’appréhender, de l’attaquer peut changer.

Les spectacles solos se partagent, grosso modo, en deux catégories: ceux qui recèlent une réelle intrigue narrative et qui créent une tension dramatique par la juxtaposition de scènes en forme de pièces de puzzle, où parfois l’unique comédien joue plusieurs rôles (Dragonfly of Chicoutimi, Cette fille-là, Vinci). Quand c’est bien réussi, on est au bout de son siège. Et puis il y a ceux dont le propos est davantage introspectif et où l’on offre un point de vue sur la condition humaine (La cloche de verre, Oh les beaux jours). Quand c’est bien réussi, on a peut-être la larme à l’œil, mais on en ressort avec un petit tournevis de plus dans son coffre pour aller négocier les méandres de sa propre vie.

C’est là que Tu iras la chercher se situe, et ça fait du bien. Jusqu’au 27 mars, à l’ESPACE GO.

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