«Butcher» de Nicolas Billon au Théâtre Centaur de Montréal – Bible urbaine

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«Butcher» de Nicolas Billon au Théâtre Centaur de Montréal

«Butcher» de Nicolas Billon au Théâtre Centaur de Montréal

Être victime d’une supercherie

Publié le 6 novembre 2015 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Andrée Lanthier

Peut-on vraiment considérer que justice a été faite si un criminel est condamné à la prison à vie et se retrouve logé, nourri et diverti grâce à la télévision par câble? Cela dépend du point de vue, mais les victimes, elles, ont souvent un sens de la justice différent. Cette réflexion, cruellement d’actualité autant dans la couverture médiatique de certains évènements que dans les discussions de salon de nombreuses familles, est l’une des forces de Butcher, un texte de Nicolas Billon. Présentée sur scène sous la direction de Roy Surette jusqu’au 29 novembre au Théâtre Centaur, la pièce ne peut laisser indifférent; et si elle ne nous soulève pas tout à fait de notre siège comme promis, elle soulève néanmoins des questions intéressantes.

Alors qu’un vieil homme en uniforme militaire semble confus et perdu, assis dans un poste de police la veille de Noël et parlant une langue inconnue, se déroule autour de lui une scène presque absurde. Un policier a fait venir un jeune avocat dans son bureau, dans l’espoir qu’il identifie le mystérieux inconnu, mais la scène laisse plutôt lieu à une série d’échanges banaux et d’un ridicule qui frise la sitcom américaine. Les blagues à répétition du policier qui manque de sérieux face à ce jeune professionnel peut-être un peu trop rigoureux rappellent presque la dynamique entre un Chandler bouffon et un Ross un peu prétentieux de la série Friends. Dès le départ, quelque chose sonne faux.

Et pourtant, dès que le quatrième personnage entre en scène – une infirmière qui fait aussi office d’interprète, puisque peu de gens parlent le Lavinian (une langue inventée, basée sur les dialectes slaves) dans la région de Toronto -, l’atmosphère bascule complètement, et le spectateur ne sait plus à quoi s’attendre. Alors qu’on cherche d’abord à identifier le vieil homme, on comprend rapidement que la femme n’est pas tout à fait là pour aider l’inconnu; elle a plutôt plusieurs reproches à lui faire, mais elle aura effectivement tout intérêt à faire connaître sa véritable identité.

Une fois que le spectateur comprend qui est l’inconnu, un second élément inattendu, mais suggéré rapidement dans l’intrigue, révèle que le jeune avocat a menti en niant connaître l’homme et son dialecte. Puis, coup de théâtre: il s’avérera que la femme aussi est, d’une certaine façon, liée au vieil homme. Mais comme dans toute bonne intrigue qui se respecte, ces trois éléments en nécessitent un quatrième pour pouvoir se solutionner grâce à la bonne vieille règle de trois.

Toutefois, dans le tricotage de son intrigue, l’auteur Nicolas Billon a poussé le bouchon un peu trop loin. Alors qu’il restait encore un fil pour nous rattacher à la réalité, à la crédibilité de l’histoire, un dernier revirement de situation fait tout basculer et mine l’efficacité du récit et de sa portée. Alors que cet effondrement final fait en sorte qu’on remet tout en question depuis le début et que tout ce qui paraissait vrai s’écroule – ce qui finalement est assez efficace pour nous faire nous questionner et réfléchir sur le vrai et la supercherie de l’affaire -, on reste tout de même avec l’impression qu’un peu de retenue aurait été plus efficace et qu’il n’était pas nécessaire d’aller aussi loin pour mener à la réflexion.

Malgré tout, et malgré que personne n’est finalement celui qu’il prétend être, il faut souligner que l’adaptation sur scène de ce texte est très réussie. Dans un huis clos à l’ambiance sombre accrue par de la véritable pluie qui tombe derrière et des deux côtés de la scène, comme pour établir le quatrième mur et signifier aux spectateurs qu’ils sont à l’extérieur avec la pluie, les comédiens sont saisissants chacun à leur façon.

James Loye, en jeune avocat, se révèle finalement être en quelque sorte le personnage principal de cette pièce intrigante, et il défend très bien son rôle. Et même si on ne comprend pas un traitre mot de ce que nous dit Chip Chuipka, de par son utilisation continue de la langue Lavinian, il est étonnant de constater qu’instinctivement, l’essentiel est compris, et les non-dits de tous, y compris d’Alain Goulem en inspecteur, sont très importants. Il n’y a que Julie Tamiko Manning qui, loin d’être mauvaise, voit son personnage se développer et changer de cap trop rapidement, rendant un peu plus difficile à croire son casting dans un tel rôle.

Au final, la qualité du jeu des comédiens et de la mise en scène, ainsi que la force du texte de Nicolas Billon (dont sa pièce The Elephant Song a été portée à l’écran par Charles Binamé en 2015) et ses nombreux éléments surprenants réussissent assez bien à nous captiver et à nous intriguer. Mais ce qui restera le plus de cette pièce, ce seront inévitablement les discussions à propos de l’injustice / justice et de la vengeance, qui continueront de sévir jusque dans les salons.

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Par Andrée Lanthier

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