Entrevue avec le rappeur Manu Militari – Bible urbaine

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Entrevue avec le rappeur Manu Militari

Entrevue avec le rappeur Manu Militari

L'homme est un océan de mystères?

Publié le 16 novembre 2015 par Marie-Hélène Proulx

Crédit photo : Melika Desaulniers

Aller à la rencontre de Manu Militari était avant tout l'occasion d'aborder un mystère qui me brûlait les lèvres: comment un auteur qui décrit si bien les raisons de sa méfiance envers les hommes en était-il venu, dans son nouvel album Océan, à offrir l'accès à une part si intime de lui-même et de son passé? Pourtant, l'artiste que je rencontre semble aussi surpris que moi par cette découverte: «Moi, je n'ai pas calculé où je m'en allais. On m'a dit que c'était un album très personnel. Peut-être que les chansons vont révéler plus de moi-même que je ne le croyais.»

Manu Militari reconnait que les textes auxquels il est parvenu le plus spontanément à s’identifier lors de la création de son dernier album, comme celui de «Volonté», sont ceux qu’il crée avec le plus de plaisir. Il y décrit son combat contre la pensée fataliste qui tire les chanceux autant que les plus démunis vers l’arrière: «Tant qu’on a l’espoir, il faut se battre» renchérit-il en entrevue. Ce message s’approche d’ailleurs de celui que le rappeur, qui évoque l’image du père protecteur dans plusieurs textes, aimerait léguer à ses enfants: «Savoir traverser les épreuves, aller au bout de ses rêves, dans la mesure du possible».

Dans sa création, ce besoin de se dépasser se traduit par l’exigence qu’il s’impose d’explorer constamment de nouveaux horizons, autant dans ses propos inspirés de récits de voyage que dans les quêtes qu’il entreprend à travers les tréfonds de sa mémoire. Ainsi, celui qui a su faire preuve d’une incontestable maturité d’un album à l’autre refuse de s’appuyer sur le confort de son expérience: «Je cherche toujours autre chose pour avancer, parce que ton expérience, si tu t’appuies trop dessus, tu tournes en rond. On ne peut pas se réinventer au complet, mais on peut trouver des façons différentes d’aborder différents sujets. C’est pour cela que je vais chercher dans ce qui est personnel. J’essaie de trouver de l’inspiration dans ce que je connais.»

Pourtant, cet univers intérieur est loin de se limiter à sa personne. Il comprend aussi d’autres personnages que les chansons permettent de voir évoluer d’un album à l’autre: «Si je parlais toujours de moi, ce serait inintéressant, et puis, il y a des parties de moi dont je n’ai pas envie de parler. Avoir des personnages, ça permet de se ressourcer, même si, à travers les autres, tu finis toujours par parler de toi aussi.» Se glisser dans la peau des autres pour compatir avec leurs faiblesses ou révéler leur haine peut cependant avoir un prix, comme Manu l’a constaté à ses dépens avec la chanson «L’Attente», qu’il a finalement dû retirer de son dernier album.

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Aujourd’hui, oserait-il aller aussi loin dans la provocation? «Ça dépend du sujet, de ce que j’aurai à perdre à ce moment-là, de ce que je vivrai, en fait», répond-il d’abord. Mais il ne peut s’empêcher de conclure: «Mais en même temps, si tu ne veux blesser personne et que tu y penses trop, tu ne diras plus rien.» Et le jeu en vaut d’autant plus la chandelle pour ceux qui inspirent les textes ou s’identifient à la souffrance des personnages. Ainsi, pour la muse de «La poule», de l’album précédent, qui revient maintenant dans «Faire son shift», la sortie de l’ombre a eu un effet libérateur: «La poule est fière que je parle d’elle. Elle m’a dit: “Manu, c’est juste du vrai. Criss-leur la vérité en pleine face!”»

Mais avant de le contraindre à affronter le regard de l’autre, sa démarche créatrice l’oblige à regarder ses propres paradoxes, droit dans les yeux. Ainsi, dans des textes comme «Volonté» ou «L’alchimiste», sa compassion envers l’être humain n’a d’égal que sa méfiance, et son discours à l’éloge de l’ambition insatiable y croise le fer avec son désir de croire en une paix qui ne se trouve nulle part ailleurs qu’en soi-même.  Et si parfois, la route vers ses idéaux peut sembler difficile à suivre, Manu Militari admet que le public n’est pas le seul à s’y perdre: «Je me suis toujours senti incompris depuis que je suis né. Quand tu es marginal, ça fait partie de ta vie de tous les jours. Tu ne te comprends pas toi-même, des fois, aussi.»

Il insiste d’ailleurs sur le fait que le droit qu’il s’accorde de se compromettre et de se contredire alimente en grande partie le plaisir qu’il prend à écrire: «Je ne veux pas être prisonnier d’un message. Je veux être pour, un jour, et contre, un autre jour. C’est pour cela que je fais de la musique.»  Il réclame alors cette liberté comme ce qui lui reste à défendre de son rêve d’adolescence, pour lui, mais aussi pour tout le milieu du rap.  Et malgré les couteaux qui volent parfois bas, il continue de prôner l’acceptation de la poésie rappée sous toutes ses formes: «J’ai envie de dire que chacun vit son rap, comme chacun vit sa vie. Il n’y a pas de dictature.»

Le lancement de l’album Océan de Manu Militari se tiendra le 21 novembre au National. Afin de connaître toutes les autres dates de ses prestations régionales, consultez sa page Facebook au www.facebook.com/manumilitari.

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