ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Louise Verdone
La tapisserie «incite à vomir», le sol est couvert de végétation et de carcasses d’animaux mutants, et les êtres humains sont des ombres obsédées par leurs dépendances respectives. Voilà un bien étrange portrait de l’apocalypse sur lequel débouche l’univers de Province.
Dans une traduction de Nadine Desrochers, Mathieu Gosselin emprunte le style de la fable poétique pour brosser une caricature de l’inaction de la société humaine devant la plus grande crise naturelle de l’histoire. D’une part, on retrouve l’archétype du geek (David Chiazzee) rivé à son écran, qui nourrit le seul espoir de terminer son aventure virtuelle; de l’autre, on ne reconnaît que trop bien le couple formé par Éloi ArchamBaudoin et Sabrina Reeves, tous deux parfaits stéréotypes des deux sexes, profondément dévoués au culte de l’apparence et de la célébrité. Les autres sont les victimes de ce système malade sur le point d’être renversé par une faune du futur beaucoup plus féroce.
La mise en scène, concoctée par Stacey Christodoulou, opère un tour de force en réunissant chaque situation isolée pour former un tout hautement perturbant. Les vies des personnages, jusque-là vécues en parallèle, se heurtent dans l’horreur de la révolte animale. Pourtant, le spectateur n’arrive pas complètement à se plonger dans l’histoire, non pas parce que l’intrigue est éclatée, mais parce que certaines tournures de phrases se prêtent moins bien à l’oralité du théâtre. Certains pourraient également reprocher le manque d’accessibilité de certains thèmes, comme la rencontre spirituelle vécue par Mom (France Rolland) ou le rôle plutôt abstrait de Mike Hughes au fil des péripéties.
C’était tout un risque de développer autant de personnages en un peu moins de deux heures, mais ceux-ci représentent si bien une facette de l’esprit humain qu’on s’attache facilement à leur sort. Ils sont extrêmement différents, mais les contrastes ne font que faire ressortir de plus belle la sauvagerie de tous. La pulsion de violence, de sexe ou d’amour finit par tous les gouverner devant la mort.
Finalement, la plus grande leçon à tirer de cette fable inscrite dans la lignée des 1984 ou Fahrenheint 451, c’est que peu importe l’adversaire à affronter, le plus grand ennemi de l’homme est inévitablement lui-même. L’esthétique est réussie sur toute la ligne, surtout dans la manière où elle rend l’apocalypse aussi lugubre qu’ironique. Le regard de Province est certes déboussolant, mais assez complexe pour explorer habilement le sujet épineux de la fin de l’humanité.
La pièce de théâtre Province de Mathieu Gosselin, traduite par Nadine Desrochers et mise en scène par Stacey Christodoulou est présentée par Talisman Theatre et The Other Theatre. Elle prend l’affiche au Théâtre Centaur du 7 au 17 octobre 2015.
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