ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Caroline Laberge
L’histoire, inspirée du très terre à terre premier emploi d’été de l’auteur à l’Armée du Salut, donne lieu à un décor à la fois percutant et surréaliste, constitué d’un amas d’objets hétéroclites, d’où jaillit parfois, à l’improviste, un groupe de musiciens. La dureté du lieu, rebaptisé «Armée du Rachat» pour l’occasion, n’amène pourtant pas le héros naïf, dont la rigueur sera même couronnée par le titre d’employé du mois, à renoncer à son idéalisme en cours de route. Mais cet idéalisme fait justement de lui un être en contraste avec ce monde des bas-fonds, qu’il a croisé pour un moment. Cette rencontre de deux univers si incohérents entretient une ambiance d’absurdité féérique, où les pointes d’humour du drame deviennent d’autant plus efficaces.
Ce n’est pas toutefois que le jeu de chaque acteur, pris individuellement, puisse être qualifié de parfait. Jean-François Pronovost, qui incarne le personnage principal, ne semble pas toujours croire qu’un jeune intello puisse laisser beaucoup d’émotion transparaître de son corps et de sa voix. Tout en demeurant crédible, il reste néanmoins dans l’ombre du talent remarquable déployé par Denis Bernard, qui, dans le rôle du patron totalement vulgaire et tyrannique, sait révéler juste ce qu’il faut d’esprit tourmenté. Félix Beaulieu-Duchesneau y brille aussi de tous ses feux dans un rôle qui aurait été plus pâle si sa voix rugueuse et puissante, autant quand il chante que quand il joue, n’avait pas sonné aussi juste.
Les moments de chant en groupe ont aussi offert aux spectateurs quelques tableaux d’une belle richesse de mise en scène. Mais la pièce est loin de se concentrer sur ces aspects esthétiques: elle dénonce l’oppression à laquelle chaque personnage aspire à échapper… tout en s’y maintenant les uns les autres. Elle remet aussi en question notre regard pétri de bonnes intentions, qui aimerait croire à des règles de justice et d’équité établies dans un milieu voué à la charité entre les êtres qu’il s’avère souvent, finalement, difficile d’aimer.
Pourtant, dès le départ, cet intello de service et alter ego de l’auteur a initié le spectateur aux rouages insensibles qui régissent ce milieu. Mais sous la grossière apparence des discours persiste une sensibilité tragique devant laquelle il est difficile de ne pas espérer avec chaque personnage, et de désespérer avec eux. Est-ce une surprise que ces univers charitables cachent une réalité si dure? Peut-être pas pour tout le monde. Pourtant, autant le mordant des textes révèle une véritable valeur artistique, autant les observations bien tangibles de Boudreault savent s’y faire sentir. Il faut en effet s’être frotté directement au milieu pour comprendre à quel point, dans les lieux similaires à l’allégorique «Armée du Rachat», la lutte continue des classes pour survivre aux abus de pouvoir est loin d’être seulement une théorie.
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de la rédaction