CinémaCritiques de films
Crédit photo : Warner Bros
Il y a donc ceux qui ont découvert Alfonso Cuaron avec son brillantissime Y Tu Mama Tambien et puis ceux qui étaient déjà impressionnés (à juste titre) par la mise en scène de Children of Men. Toujours est-il que le projet Gravity a pris cinq longues années et pour une fois un major (Warner) a eu l’intelligence et la très bonne idée de laisser toute la liberté à son auteur. Car il s’agit effectivement d’un film d’auteur quand tant de matières visuelle, sonore et narrative s’offrent à nos yeux et à notre for intérieur.
S’il ne convient pas de comparer Gravity à toutes œuvres passées comme on peut le lire (2001, L’Odyssée de l’Espace ou même Solaris), on peut en tout cas se permettre d’en faire une lecture différente, liée à son époque. En ce sens, nul besoin de créer un podium; le sujet même de chacun des films est différent, ancré à une période, et surtout les modes de production (rentabilité-cible-attente du public) sont incomparables. En résumé, chaque cinéaste a sa propre émotion et cinématographie, attachée à son époque. Gravity se suffit donc à lui-même.
Pour une fois, le scénario, en mode quatre lignes sur page blanche sert la profonde richesse du film. Lors d’une expédition spatiale, une équipe d’astronautes doit faire face à une catastrophe, perdue dans l’espace, deux d’entre eux sont livrés à eux-mêmes, avec une ressource d’oxygène qui se réduit au fur et à mesure que les minutes s’écoulent.
Si, à l’heure du tout numérique, les effets spéciaux permettent des incrustations, des retouches invisibles et soignent les aspects visuels d’un film, on peut également noter parfois un débordement outrancier qui fait abandonner toute forme de narration, aux dépens d’un visuel fracassant. Gravity se pose aujourd’hui comme l’antithèse exacte de tout cela.
Alfonso Cuaron, artiste visionnaire, vient de changer la donne, quatre ans après Avatar. Suivant les pas d’Orson Welles ou de Stanley Kubrick, le réalisateur mexicain semble être le pendant moderne de ses aînés (malgré les beaux projets de David Fincher, par exemple, à qui il manque cette profondeur de fond, parfois). Peu nombreux sont les artistes qui ont pu redéfinir complètement la grammaire d’un cinéma de plus en plus cloné ces dernières années. Alfonso Cuaron en est le nouveau souverain.
Le challenge qu’il a tenté de relever est donc ici mis en forme dans l’espace. On comprend mieux le besoin d’appliquer son histoire dans le vide spatial quand tout le long du long métrage autant d’images et d’archétypes sont livrés au spectateur. Gravity est un film immersif. La réussite tient au fait d’avoir su se servir d’une technologie, et d’en créer une également, pour les besoins spécifiques de ce tournage, sur la façon d’éclairer et de filmer. Il est difficile de croire que le film ait été tourné en studio (plus quelques plans lors de vols hyperboliques) tant la sensation d’espace nous saute aux yeux à chaque plan et chacun des mouvements des acteurs. Les plans-séquences étirés dans la longueur, pour notre plus grand plaisir, forcent la magie du regard, la rétine se voit éblouie par la finesse des plans autant dans leur composition, leur volume, que par la photographie du film, Emmanuel Lubezki (fidèle du réalisateur et de Terrence Malick) n’est pas étranger à cette réussite.
En outre, le lightning est vraiment impressionnant et innove sur le plan du réalisme. C’est donc une vraie révolution visuelle que propose Alfonso Cuaron, fruit de plusieurs années de préparation. Là où le spectacle cinématographique est rendez-vous, en totale adéquation avec une retranscription sonore parfaite de l’œuvre. Liée à des recherches technologiques poussées, la trame sonore du film est à l’unisson avec le visuel, une bande-son de Steven Price, discrète et terriblement efficace autant par sa rareté que dans sa composition, mais également par son montage son fin et précieux. Équilibré, crédible, qui joue habilement autant avec «l’intérieur» au sens large que les respirations des personnages; où comment rendre les silences essentiels, car mesurés et parsemés à bon escient tout au long d’un film. Ce travail méticuleux, et partie intégrante de la réussite de Gravity, doit une fois de plus être mis en avant quand trop souvent le travail sonore des films est laissé de côté. Il devient presque un cas d’école sur ce point.
Si nous atteignons la plus haute marche, c’est parce qu’à cet aspect divertissant vient s’ajouter une trame de fond passionnante. Au sensoriel vient alors se conjuguer le sensationnel. Alfonso Cuaron place ses personnages dans l’infiniment grand pour mieux sonder ce qui se trame au plus profond de l’humain. Peu de hasard si le personnage principal est féminin, l’idée maternelle est alors directement liée à celle de l’image de la Terre, présente tout au long du film, berceau de l’humanité. Sandra Bullock (qui a remplacé Angelina Jolie, ouf!) représente idéalement cette image maternelle perdue dans l’espace. On voit clairement le côté survival du film et l’allégorie du combat de cette femme pour aller chercher au fond d’elle-même les forces pour une (re)naissance, exprimée au sens propre comme au figuré. Les images du film suggèrent de manière plus ou moins appuyée la renaissance psychologique par les expériences constructives liées à l’enfance, et le discours ira même plus loin quand on nous baignera dans l’origine de la vie, dans sa manière formelle comme dans sa représentation.
Le film brasse ainsi, sans trop en dévoiler sur la manière, les thèmes du langage, de l’universalité, du soi, de l’homme et de la femme. C’est large et surtout s’ouvre à chaque spectateur comme autant d’interprétations particulières puisque liées à l’émotion. Force est de constater que les deux interprètes principaux, George Clooney et surtout Sandra Bullock, portent avec assurance et délicatesse leur personnage respectif. L’actrice livre d’ailleurs ici une de ses plus touchantes prestations.
Et quand dans ce surplus d’images plus suggérées que subjectives on pouvait trouver un bémol, au sens trop appuyé, c’est pour s’apercevoir que le réalisateur inscrit ces séquences dans un tout qui fait sens et force. Et nous emporte dans un dernier quart d’heure, aussi majestueux que les quinze minutes qui ouvraient Gravity. Comme une réponse de l’infiniment grand à l’infiniment petit.
Bien loin d’une leçon de cinéma simplement démonstrative, maître d’œuvre d’un film qui fera date, Alfonso Cuaron a su magnifier son savoir-faire de metteur en scène à son talent d’écriture comme si, dans un seul film, tout se rejoignait pour le plaisir du spectateur et de son auteur. Là où le cinéma numérique et la 3D prennent enfin leur sens, c’est paradoxalement dans une sorte de huis clos passionnant aux frontières invisibles, là où l’homme construit ses questionnements en même temps que ses peurs. Au-delà de la psychologie bas de gamme, Alfonso Cuaron met en images (et en son) l’expérience ultime du cinéma comme certains ont pu l’être avant lui, mais qu’on retrouve que trop rarement sous une forme si poussée. À chacun d’accepter cette invitation et de se laisser aller au plus profond d’une salle, de l’espace et finalement de soi-même.
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de la rédaction