Le thriller «Prisoners» de Denis Villeneuve – Bible urbaine

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Le thriller «Prisoners» de Denis Villeneuve

Le thriller «Prisoners» de Denis Villeneuve

En totale liberté

Publié le 26 septembre 2013 par Manuel Yvernault

Crédit photo : Warner Bros

Denis Villeneuve c’est une poignée de belles et franches réussites si l'on considère d'un oeil expert ses films Maelström, Polytechnique et plus récemment Incendies, qui lui ont apporté une notoriété internationale bienvenue. Au-delà de sa filmographie toujours plus proche des drames, c’est un metteur en scène qui émerge enfin avec une franche maturité dans le tout nouveau Prisoners, en version française «Prisonniers», les quelques défauts (vraiment infimes d’Incendies) étant ici effacés autant par l’efficacité de sa narration que dans sa mise en scène presque exceptionnelle.

Nous sommes en premier lieu surpris par la qualité de la forme narrative. Aaron Guzikowski, coupable du script de Contrebande, trouve avec efficacité la mécanique imparable de son histoire. Fort de ses personnages, l’histoire de ces deux familles à la recherche de leur fille respective n’a rien du cliché. Le fil conducteur devient alors très vite le détective Loki, interprété par Jake Gyllenhaal, plus rare sur les écrans ces derniers temps, mais toujours aussi impeccable dans son interprétation.

On connaît parfaitement la couleur des films de Denis Villeneuve, un équilibre entre intensité des émotions et un léger penchant pour le thriller. Autant dans le ton que dans sa forme, souvent en flashbacks, sinon morcelée comme un puzzle à résoudre. Si dans Incendies certains contours pouvaient sembler un peu gros, notamment la perte d’intensité une fois l’intrigue principale dévoilée, ici la mise en scène est loin d’être prétentieuse. Plus élégant encore, les twists, en nombre conséquent, ne sont pas présents pour surprendre et séduire le spectateur. La qualité première de Prisoners est intelligemment placée ailleurs. Avant tout dans son ambiance puis de manière équilibrée dans son interprétation (la direction d’acteurs également) ainsi que dans sa mise en scène.

Si le spectateur réunit quasiment les indices avant les protagonistes, l’enjeu n’en pâtit jamais. L’âpreté de ce drame valse entre diverses émotions où chaque personnage apporte sa contribution. On a rarement vu un thriller dramatique où l’ensemble du casting joue autant parfaitement son «rôle». Hugh Jackman et Jake Gyllenhaal explosent littéralement l’écran, quand Maria Bello et Paul Dano rendent crédibles des rôles qui auraient pu facilement tomber dans l’exagération. Le reste du casting se met au diapason de ces interprétations de hautes tenues.

Si le scénario comme on peut le relever fait la part belle à la qualité globale du film, il n’en serait rien sans la minutie de la mise en scène de Denis Villeneuve. Tout y est, du classicisme référencé que le genre demande, à des prises de risques qui s’avèrent finalement donner une autre dimension au film (on pense notamment à ces fondus au noir amenant une ellipse dont on ne saura souvent rien par la suite). Le tout sublimé par la photo de Roger Deakins (Les évadés, Fargo, Skyfall), réellement épatante.

Jusqu’ici tout semble parfait. Or, on émet cependant un bémol sur le discours sous-jacent du film. Clairement référant à cette Amérique post 11 septembre, où la paranoïa et se faire justice résonnent comme une chape de plomb morale. Les prises de position s’avèrent finalement assez peu risquées, le bien Vs le mal, l’émotion Vs la morale, la figure autoritaire Vs paternelle… On reste constamment dans un entre-deux. Rien de réellement gênant pour le long-métrage en lui-même. Seulement, vu certaines questions traitées, plus de clarté aurait été bienvenue. Loin de cautionner la loi du Talion, le film verse dans une finale qu’on aurait aimé plus «tranchante».

Point important mais qui ne gâche en rien le plaisir de Prisoners qui a su tenir en haleine le spectateur sur près de deux heures et trente minutes, sans aucun temps mort, virevoltant entre thriller pur et dur, moments dramatiques poignants où les émotions portent le spectateur d’instants bouleversants à déchirants.

Si le dilemme moral du film n’est en rien original et ne répond encore une fois pas totalement à la question «faut-il se faire justice soi-même?», Prisoners est bel et bien une franche réussite, plus par le ressenti qu’il procure que les twists inhérents au genre. Alors que la radicalité morale s’avère presque absente, la mise en scène extrêmement soignée de Denis Villeneuve contribue pleinement à un joli tour de force portant Prisoners dans la caste des thrillers référents.

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