ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Suzane O'Neill
Leila et Lee en ont beaucoup à raconter. Tellement qu’ils doivent se munir de deux comédiens supplémentaires pour conter leur aventure. Conter, raconter, oui, car Yellow Moon – la ballade de Leila et Lee est beaucoup plus racontée que jouée, elle est beaucoup plus imaginée que démontrée. Mais ça n’affecte en rien son efficacité: le texte de David Greig – traduit par Maryse Warda – est aussi solide que le roc sur lequel les personnages s’assoient au fil du spectacle. Bien construite, l’aventure des deux personnages principaux est décrite grâce à de nombreux monologues et échanges entre les quatre narrateurs.
Se passant la rondelle avec aisance et finesse, Sylvie De Morais, Benoît Drouin-Germain, Denis Bernard et Monique Spaziani terminent les phrases l’un de l’autre, parlent souvent à l’unisson et se relancent avec un rythme peu commun et une complicité palpable. Les regards soutenus, l’écoute tellement grande qu’elle se perçoit, et les visages toujours plein d’émotions de la part des quatre comédiens nous rappellent que, déjà en 2010, cette production du Théâtre de la Manufacture avait été présentée – et remarquée – avec sa première série de représentations. Même si la réputation de ces comédiens n’est plus à faire et que la pièce était déjà bien rodée, il n’y a pas à dire: la présence si incarnée et soutenue des acteurs impressionne et ravit.
Contenant plusieurs scènes marquantes, Yellow Moon est portée par des artistes de talent, mais également par une mise en scène simple mais ingénieuse de Sylvain Bélanger. La scène étant placée en plein milieu de la salle, des bancs se retrouvent donc des deux côtés. Cela crée un effet de proximité avec le public, en plus de représenter un défi supplémentaire pour les comédiens, qui doivent s’assurer de jouer pour tous. Ainsi, c’est sous des angles différents que les spectateurs ont pu voir l’abandon de Denis Bernard, alors que Stag Lee poignarde Billy Logan, le copain de sa mère. Les jambes molles, le corps comme en suspens dans les airs pendant que Benoît Drouin-Germain le retient, Bernard a vite donné le ton au spectacle avec sa justesse impressionnante et son investissement dans ses personnages et sa narration.
Il récidivera tout au long du spectacle, notamment dans une très belle scène où le garde-chasse Frank fait sortir sa colère à l’endroit de Lee, à propos de la vraie nature de leur relation, de sa voix qui porte, qui fait presque pleurer le spectateur autant que Benoît Drouin-Germain, comme assommé par la prestance de Bernard. C’est un Benoît Drouin-Germain sensible, malgré sa fière allure de «stag» (cerf) qui cherche à conquérir sa biche, et drôlement agité qu’on retrouve dans Yellow Moon. Un jeune comédien qui fait honneur au talent de son partenaire masculin. Et la pièce n’est pas en reste du côté féminin, puisque Sylvie de Morais et Monique Spaziani sont remarquablement brillantes également, en femmes fragiles qui s’envient l’une l’autre sans se douter qu’elles vivent un peu la même réalité.
Si Yellow Moon compte beaucoup de petits monologues, de par l’action qui est racontée directement au spectateur à tour de rôle par les quatre comédiens, il n’y aucun effet de lourdeur. La pièce comporte cependant quelques moments qui rendent confus, alors que certains personnages parlent d’eux-mêmes à la troisième personne, racontant une action qu’eux-mêmes effectuent, plutôt que de la jouer, ou encore en indiquant clairement un saut dans le temps, ce qui brise un peu le rythme et la couleur de la pièce. Ces narrations omniprésentes permettent toutefois au spectateur de comprendre ce qui se passe dans la tête des protagonistes, puisqu’ils communiquent très peu leurs sentiments entre eux, surtout dans le cas de Leila, qui a décidé un jour que ça ne valait pas la peine de parler, car les gens entendent bien ce qu’ils veulent entendre, de toute façon.
Yellow Moon est une pièce empreinte d’humour et de moments intenses et touchants. C’est un texte si fort qu’on réussit à imaginer les lieux, la neige, les montagnes et la grotte, malgré la mise en scène minimaliste. Il s’agit d’un spectacle porté par des comédiens convaincants et surprenants, dont le jeu est plus grand que nature et leurs pensées beaucoup plus grandes que leurs paroles. Il se dit beaucoup sans que les personnages ne se parlent, dans la pièce de David Greig. Mais elle fait réfléchir sur notre propre identité, sur la difficulté de trouver sa place dans le monde. Et elle ne laisse personne indifférent, car tout comme Leila en se lançant dans l’aventure avec Lee, en fuyant des problèmes qui les rattraperont bien vite, on a l’impression d’exister et d’être en étant témoin de l’épanouissement des deux jeunes.
Comme le charmeur Lee se plaît à questionner Leila, «Alors, tu viens? Ou tu viens?». Allez-y.
La pièce Yellow Moon – La ballade de Leila et Lee est une production du Théâtre de la Manufacture et est présentée du 5 au 23 mars au Théâtre La Licorne de Montréal, avant de continuer à parcourir le Québec et de s’arrêter à Moncton. Toutes les dates sont disponibles au www.theatrelalicorne.com.
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de la rédaction