LittératurePoésie et essais
Crédit photo : Boréal
Depuis plusieurs mois, de nombreuses personnalités œuvrant à la télévision publique canadienne ou maintenant à l’extérieur de ses murs ont pris la parole pour diverses raisons, soit pour dénoncer les coupes dans le personnel ou pour remettre en question les autres décisions du président Hubert T. Lacroix et de son conseil d’administration. Alain Saulnier, présentement professeur à l’Université de Montréal, a notamment choisi la voix de l’écriture, celle que l’on retrouve dans Ici était Radio-Canada, publié chez Boréal.
Rédigé de manière chronologique, avec comme jalons les grands moments de l’histoire, cet ouvrage confirme le fait que Radio-Canada a été une institution médiatique et culturelle incontournable dans la vie citoyenne des Canadiens et Québécois. Tout y passe: la Révolution tranquille, la crise d’Octobre, Pierre Trudeau et René Lévesque au pouvoir, les référendums, le gouvernement de Brian Mulroney, l’arrivée des conservateurs à Ottawa, etc. Tout cela à travers la loupe de M. Saulnier, mais surtout à partir de cet observatoire participatif qu’est la SRC.
Les lecteurs intéressés par la création d’un diffuseur public sauront apprécier la contextualisation des bouleversements dans l’univers des communications au XXe siècle. On rappelle d’ailleurs «(…) que la radio de Radio-Canada et celle de CBC ont été créées en 1936.» Une époque radiophonique dans laquelle les auditeurs pouvaient plonger dans les histoires de Séraphin d’Un homme et son péché ainsi que Rue principale, un autre radioroman.
Bien que plusieurs comportements des conservateurs soient révélés dans le livre, ceux-ci ne sont pas les seuls dans la mire de Saulnier. L’illustration des tentatives d’ingérence et de la réduction des budgets du diffuseur public qui s’exerce depuis fort longtemps est patente. Le tableau intitulé «L’évolution de l’allocation parlementaire de la SRC» permet de constater la courbe descendante du budget de Radio-Canada depuis de nombreuses années. Autre exemple, la retranscription d’un extrait d’entrevue réalisée par Louis Martin et Gérard Gravel avec le premier ministre Pierre Elliot Trudeau prouve que le pouvoir a toujours été dérangé par Radio-Canada, dans ce cas-ci au sujet d’une certaine présence des idées des indépendantistes. «Si on s’aperçoit que le dollar du contribuable n’est pas bien dépensé à Radio-Canada, on n’hésitera pas à couper le budget comme on l’a fait [au ministère de la Défense]», répond M. Trudeau à l’animateur et au journaliste de l’émission Format 30.
Il faut souligner que l’auteur du livre étaye toujours ce qu’il affirme par des faits, des entrevues réalisées avec des acteurs de l’époque (ex-politiciens et anciens dirigeants notamment) ainsi que divers documents. Saulnier a fait un véritable travail de recherche – ses années à développer le journalisme d’enquête doivent y être pour quelque chose – et de reconstitution de plusieurs pans de l’histoire du diffuseur public. Plusieurs interviews viennent éclairer le lecteur et offrent un nouvel angle de vue sur les sujets traités au cours des chapitres.
Ici était Radio-Canada nous fait découvrir des personnages politiques forts intéressants, notamment l’ancien ministre des Communications au sein du gouvernement Mulroney, Marcel Masse. Celui-ci, en entrevue avec Alain Saulnier aux fins de ce livre, décrit clairement qu’il souhaitait une présence beaucoup plus marquée de la culture sur les ondes de la SRC et qu’il le disait à Pierre Juneau, directeur de l’institution à l’époque. Une façon de niveler par le haut, pour paraphraser cet ancien ministre aujourd’hui décédé. Dans cette même veine, ceux qui s’intéressent au sort réservé à la culture à Radio-Canada se rendront bien sûr compte que les décisions prises et la vision de certains dirigeants ont contribué au processus de disparition (presque) des arts et de la culture dans la programmation des lieux de diffusion du média. Il s’agissait d’une course à la rentabilité, donc aux ventes publicitaires et aux cotes d’écoute.
Les gens qui croient que ce livre a été écrit pour venger son sort professionnel à Radio-Canada – il a été congédié en février 2012 – se trompent. On peut ne pas être d’accord avec sa vision critique et dénonciatrice ou ce qu’il propose pour la suite des choses, mais Ici était Radio-Canada est un ouvrage qui regorge de mises en contexte, de faits et de preuves pour être plus qu’un défouloir. Il faut toutefois rappeler que les agissements et les liens qu’Hubert T. Lacroix entretient avec l’actuel parti au pouvoir à la Chambre des communes, mis en lumière par l’auteur, ont de quoi en troubler plus d’un.
Sur le plan de la forme, l’auteur réussit à ne pas trop se mettre en scène avec ses réalisations et utilise le ton qui n’est pas celui du règlement de comptes. Il peut être difficile pour bien des gens de vouloir défendre un lieu qui ne représente plus depuis un bon bout de temps l’effervescence créatrice des artistes ainsi que la diffusion des idées et des débats émanant de la sphère intellectuelle, mais ne serait-ce que pour se projeter dans une SRC future, Alain Saulnier réussit à convaincre de sauver «quelque chose comme une grande institution», pour reprendre la belle formule de Lévesque.
Ici était Radio-Canada, Alain Saulnier, Boréal, 2014, 280 pages, 27,95$.
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