LittératurePoésie et essais
En 2011, ils nous avaient offert la réflexion plus globalisante et politique De quoi le Québec a-t-il besoin? Les voilà qui récidivent en 2012 avec un recueil de réflexions sur l’éducation, avec en filigrane les événements vécus autour de la crise étudiante. Le résultat est un ensemble de réflexions venant de onze personnalités liées à divers aspects du domaine de l’éducation, avec chacun leurs idées, chacun leur façon de transmettre le fruit de leur pensée. Le résultat en est un recueil d’esquisses de questionnements et de débuts de réponses, qui laissent toutes une porte grande ouverte vers plus de débats, plus de discussions… enrichissantes, espérons-le!
Ce livre est une enquête auprès de certains penseurs, de certains praticiens de l’éducation. Leurs réponses ne sont pas des vérités absolues, mais des esquisses d’un possible, des coups de sonde dans les profondeurs de nos difficultés, des témoignages.
Ce recueil s’ouvre en premier lieu sur une réflexion coup-de-poing de Marie-France Bazzo, qui revient notamment sur les événements du printemps dernier, y voyant certes un grand mouvement étudiant, un certain réveil, mais qui dans ses revendications, n’a pas vraiment à son avis su mettre en avant-plan l’éducation en elle-même. «Tout l’espace était occupé par des préoccupations conservatrices de protections des acquis». Elle tire de cette réflexion un constat triste, inquiétant et pourtant, bien que quelque peu exagéré, près de la réalité. Le Québec se fout de l’éducation.
Les autres intervenants nous amènent vers différentes réalités du monde de l’éducation, que ce soit l’école comme espace physique, l’école comme lieu d’enrichissement intellectuel et conséquemment matériel collectif, l’école comme outil pour évoluer de manière à comprendre le monde qui nous entoure et qui évolue lui-même très vite VS l’école qui endoctrine l’étudiant à répondre à des standards du marché du travail, voire littéralement d’entreprises.
Camil Bouchard, psychologue, revient ainsi sur ce que devrait être l’école comme lieu physique d’inspiration pouvant créer un sentiment d’appartenance fort autour de la volonté d’apprendre. Fabienne Larouche, dont le texte pourtant très bref est porteur d’un message très fort, nous confronte à l’importance de la connaissance, une compétence en soi que nous sommes en train de perdre. Une des raisons de cette diminution du savoir chez nos jeunes (elle fait par ailleurs des parallèles assez saisissants avec les années 1950) serait d’avoir négligé la compétition et la notion d’échec, nous concentrant sur les plus faibles plutôt que sur les plus forts qui contribueraient à aider ces plus faibles à s’améliorer.
Dans un autre ordre d’idées, le sociologue Guy Rocher réfléchit longuement quant à lui sur notre culture collective face à l’éducation, qui néglige son intérêt national. Il revient surtout aussi sur la notion de l’esthétisme face au savoir, face à notre langue. Lorsqu’il y a de la beauté, il y a de l’enthousiasme, non? L’économiste Ianik Marcil et le philosophe Normand Baillargeon apportent de leur côté des réflexions sur ce que devrait être l’éducation d’un point de vue plus idéalisé. Décloisonnons les disciplines, lions entre elles les idées, posons-nous la question de départ : que devrait être l’éducation? Et avec une vision plus claire de nos objectifs, travaillons ensemble à élever les esprits!
La deuxième partie du livre s’intéresse de manière plus spécifique à la culture générale. Que devrait savoir un jeune en sortant du secondaire? Les réflexions de ce point de vue sont beaucoup plus précises chez la plupart des participants au recueil. Elles s’orientent d’une part inévitablement vers la Réforme et ses impacts et d’autre part sur ce que devrait être la culture générale des futurs citoyens québécois. Des citoyens qui devraient connaître le monde dans lequel ils vivent avant d’être forgés pour devenir des travailleurs. «Répondre par l’éducation à la demande du marché du travail, c’est voué à l’échec» (Ianik Marcil).
D’un autre côté, l’enseignante à la retraite Madeleine Thibault nous rappelle que la culture générale est certes très importante, mais insuffisante. Il faut aussi donner aux étudiants des méthodes et des outils d’apprentissage pour qu’ils puissent bien construire leur culture générale. Et ce type de réflexion s’applique aussi à notre façon de manier notre langue! Comme nous le dit Maryse Perreault: «On habite une langue avant d’habiter un pays. On pense avec sa langue, on réfléchit, on philosophe avec une langue. Penser avec cinquante mots de vocabulaire, c’est très différent de penser avec trois milles mots. Ça colore l’ensemble des activités humaines.»
Puis nous passons à des questions encore plus pragmatiques, sur le rôle même de l’école, des universités, sur le sempiternel débat du public vs le privé dans le domaine de l’éducation, de la question de la gratuité en passant par le triste problème du décrochage et surtout de sa raison d’être. Au final, il ne restait que la question suivante pour ces intervenants allumés: avez-vous une idée phare pour l’éducation au Québec, du primaire à l’université? Faisons de l’école un lieu d’accompagnement des connaissances, permettons aux universitaires de réinvestir le débat public, valorisons la curiosité et la créativité dès le plus jeune âge, faisons de l’université un haut lieu de savoir plutôt que de constamment la bureaucratiser, etc.!
Ce recueil pourrait donc se définir comme boîte à idées, parfois très développées et détaillées, que nous ouvrons afin d’enrichir notre propre réflexion sur ce que nous voulons pour l’éducation de nos enfants, ou la nôtre. Il s’adresse autant aux étudiants des niveaux collégial, universitaire (qui devraient s’en imposer la lecture pour mieux penser leurs propres besoins en matière d’éducation) qu’aux parents et aux multiples acteurs du domaine de l’éducation. Parce que se donner des outils pour réfléchir, c’est aussi une forme d’évolution intellectuelle.
Appréciation: ****
Crédit photo: www.archambault.ca
Écrit par: Evelyne Ferron