LittératureRomans québécois
Crédit photo : Éditions Alto, Martine Doyon et Idra Labrie
Genèse du projet. En 1793 à Paris, en pleine folie guillotineuse, Philippe-François-Nazaire Fabre (dit Fabre d’Églantine, poète et homme politique) et André Thouin (botaniste et agronome) conçurent un calendrier célébrant les nouvelles valeurs républicaines pour remplacer le calendrier usuel catholique, truffé de saints dont il fallait se débarrasser. Chaque jour s’est vu étiqueté d’un nom de plante (la grande majorité des jours), d’animal ou d’outil. Il n’y avait plus de semaines, mais des décades (10 jours), à raison de trois par mois, lesquels changèrent également de nom pour prendre un aspect plus poétique à nos yeux d’aujourd’hui, mais représentant la réalité du paysan travaillant au champ (brumaire, pluviose, ventôse, germinal, et ainsi de suite). Ce calendrier survécut à son auteur Fabre d’Églantine, décapité en 1895, mais fut abandonné en 1806.
Instigatrice du projet, Dominique Fortier (La porte du ciel, Du bon usage des étoiles) a convié Nicolas Dickner (Nikolski, Tarmac) dans cette aventure qui allait exiger d’eux de la persévérance (mais n’est-ce pas toujours le lot des écrivains?) et autant de cohésion que d’originalité. Car le sujet imposé au jour le jour, provenant de l’extérieur, risquait de devenir astreignant. Pour éviter la lassitude de la répétition, les auteurs allaient devoir varier les avenues, provoquer l’inspiration par des moyens qui leur sont moins habituels. Ce ne fut peut-être pas totalement le cas. D’où la consommation petite dose, quelques pages à la fois.
Mais comme tous les livres écrits par des écrivains amoureux de la langue (ils ne le sont pas tous, faut pas croire), celui-ci a la fâcheuse qualité de mettre le lecteur devant son propre manque de vocabulaire. Ces deux auteurs de 40 ans au style très différent ont en commun de ne faire aucune concession du point de vue linguistique ni littéraire. À l’ère où l’écriture au quotidien pullule sur les blogues, jamais ils ne versent dans le style parlé, jamais ils ne cèdent à la tentation du commentaire, même dans leurs journées plus mornes ou d’inspiration plus terre-à-terre. Leurs interventions sont des gestes d’écrivains.
Dominique Fortier se révèle une vraie raconteuse d’histoires, fine narratrice de l’intimité, une enjoliveuse du quotidien non dépourvue d’humour. Nicolas Dickner se montre créateur de réseaux de connaissances par son amour pour le savoir de tout horizon – en clair, il est accro à Google et à Wiki et ne s’en cache pas –, savoir dont il sait faire bon usage du point de vue narratif. Tout ce qu’il glane sur le Web se dépose tout de même sur une culture enviable, qu’il partage sans prétention, au bénéfice du lecteur. «La culture, comme on dit, c’est ce qui reste lorsqu’on a tout oublié.» Son style est souvent incisif, mais on sent qu’il se dévoile plus qu’il ne l’avait prévu.
Comme ce calendrier remonte 18e siècle, le lecteur est placé devant sa très grande ignorance du monde végétal! Il y découvre des dizaines de plantes insoupçonnées: déjà entendu parler du doronic, du vélar, de la guède ou encore de l’apocyn? Fortier et Dickner ont souvent la gentillesse de nous faire part du fruit de leurs recherches à leur sujet.
Il est possible de feuilleter le livre sur le site des Éditions Alto, il est même possible de lire les textes quotidiennement sur un blogue qui a démarré le 22 septembre dernier. La version papier illustrée est toutefois beaucoup plus jolie, elle est accompagnée d’une carte postale pouvant servir de signet et elle donne même accès à un concours. La version reçue comporte cependant beaucoup d’erreurs; nous espérons vraiment qu’elles ont été corrigées depuis.
L'avis
de la rédaction