LittératureRomans québécois
Crédit photo : Libre Expression
Se retrouver d’abord pour avancer
Après les tempêtes emmène les lecteur·trices dans l’univers de Martin O’Connor, un écrivain quinquagénaire, lors d’un périple automnal à Mount Desert Island dans le Maine au cours duquel il compte rédiger son prochain ouvrage. Ce dernier portera, du moins selon son idée originale, sur une rencontre fictive avec l’incommensurable écrivaine Marguerite Yourcenar.
Tourmenté depuis des décennies, il mène un combat constant avec ses démons du passé qui le hantent toujours. Il cherche à puiser sa force et sa résilience à travers l’écriture, l’une des seules choses qui réussissent à le calmer et à le faire sentir à la hauteur.
Lors d’une promenade en montagne, il fait la rencontre d’une femme mystérieuse nommée Jane. Sans attache, elle suit un mode de vie nomade et s’arrête généralement très peu de temps au même endroit. L’attirance qu’ils éprouvent l’un envers l’autre devient rapidement évidente malgré le mur de secrets qui les sépare. Au fil des heures qu’ils partagent, ils se soutiennent en silence sans connaître leurs drames respectifs.
L’annonce soudaine du décès de sa mère Eileen replonge Martin dans les ténèbres toujours omniprésentes dans son esprit. Jane propose de l’accompagner dans la maison de ses sombres souvenirs pour offrir ses derniers adieux à celle avec qui il n’a jamais réussi à réparer leur lien brisé. Il navigue ainsi entre colère, remords et incompréhension, pour finalement tenter de faire la paix avec ses blessures profondes.
«Cette tristesse qu’il éprouve à propos d’Eileen, ce vide soudain, lié à cette mère qu’il considère pourtant comme perdue depuis si longtemps. Perdue? Oui. Car bien qu’elle ait été physiquement à ses côtés au cours de ses jeunes années, son absence n’en paraissait que plus grande.»
Cheminer vers la paix d’esprit
Dans son incipit, Patrice Godin aborde déjà le thème de la mort avec douceur avant de s’enfoncer dans la crise existentielle de son personnage principal: «Il ne sait pas. Il se questionne. Il ne sait pas si les étoiles, comme l’affirmait sa mère quand il était petit, sont les âmes des gens disparus, des bonnes personnes, celles ayant bien accompli leur existence.»
À l’écart de l’action et du suspense dépeints dans d’autres romans de l’auteur, celui-ci se passe en majeure partie dans la tête de ce Martin O’Connor qui s’ancre dans le passé et cherche avec difficulté un chemin vers l’instant présent auquel il a du mal à profiter. Le reste se déroule surtout dans le cadre de conversations avec des membres de sa famille et avec cette inconnue qui semble souffrir autant que lui, ou encore avec ses «fantômes».
L’intense, mais nécessaire introspection du protagoniste lui sert, en réalité, à donner un sens à sa vie décousue, celle qu’il croit avoir ratée sur toute la ligne. Il tente de démystifier les drames de son existence pour retrouver la raison, comme dans l’extrait suivant:
«Ce “tout” et ce “rien” qui nous englobent et dont nous faisons partie, la beauté et l’absurdité du monde, ce qui vaut et ne vaut pas la peine, ce à quoi nous nous accrochons avec vigueur, parfois désespérément, et que nous laissons échapper sans cesse, le vrai, le faux, nos croyances, nos convictions souvent bêtes, parfois méchantes, nos délires et nos déraisons, tout cela…, qu’est-ce? Car ce dont il s’agit, au fond, ce n’est que de vivre d’un instant à l’autre, pleinement si possible, et d’avoir l’esprit libre.»
Braver son orage intérieur une bonne fois pour toutes
Sans aucun doute, l’œuvre de Patrice Godin se démarque par la profondeur et l’évolution de ses personnages à la fois sombres et lumineux ainsi que par la qualité et la justesse de sa plume. Comme dans Sauvage, baby et Les chiens, on se surprend comme public à aimer et à excuser des personnages qui penchent vers les décombres d’eux-mêmes.
Après les tempêtes présente le portrait psychologique complexe d’un homme ayant subi des traumatismes au cours de son enfance, marquant son identité et sa santé mentale une fois adulte. L’immersion dans sa souffrance remet en doute les frontières entre le bien et le mal, le juste et l’injuste. C’est pourquoi le personnage de Martin O’Connor se trouve attachant malgré le voile d’ombre qui repose sur lui en permanence.
«Le bien et le mal s’entremêlent parfois, une danse étrange, incandescente. Être libre, en certaines occasions, peut aussi être un fardeau.»
Par ailleurs, c’est le genre de romans où, même si le rythme est plutôt lent, le nombre de passages que vous aurez envie de surligner ou d’encadrer ne fera qu’augmenter au fil des pages; tant pour la beauté des idées que pour l’image que les mots projettent dans notre tête.
«Eileen est présente dans chaque craquement du plancher, dans chaque courant d’air, dans chaque murmure apporté par le vent, ses molécules habitent l’espace, l’englobent, elle est là et elle n’est nulle part et, soudain, Martin se sent plus seul qu’il ne l’a jamais été.»
Comme unique faiblesse, le roman comporte quelques répétitions qui n’étaient pas nécessaires à la compréhension de l’histoire. Ces quelques redondances alourdissent le fil des idées du protagoniste sans toutefois prendre trop de place. Au bout du compte, le livre se lit rapidement, et ce, avec un mélange d’intensité et de légèreté.
Ce titre, de même que les autres du même auteur, sont à garder en tête pour vos provisions locales du 12 août, j’achète un livre québécois!
Après les tempêtes de Patrice Godin, Libre Expression, 18 janvier 2024, 200 pages, 26,95 $.
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de la rédaction