LittératureRomans québécois
L’auteur, metteur en scène et homme de théâtre d’origine libanaise Wajdi Mouawad, lequel est largement reconnu pour ses nombreuses pièces de théâtre, mais plus particulièrement pour Incendies, second opus d’un célèbre quatuor ayant a été adapté au grand écran par Denis Villeneuve (2010), récidive avec un deuxième roman où meurtres et règne animal sont à l’honneur.
L’univers de Wajdi Mouawad, autant en littérature qu’au théâtre, a toujours été un casse-tête complexe aux multiples interprétations. Alors qu’Anima met simplement en scène Wahhch Debch, un homme dont la vie s’écroule après la découverte du cadavre de sa femme Léonie gravement mutilé, le récit avait ici toutes les chances de sombrer dans les bas-fonds glauques et cruels du thriller ou du roman policier. Mais, chez Mouawad, il y a ce constant désir d’interpréter les choses différemment, de sortir des sentiers battus, de ce confort intellectuel auquel nous sommes tant accoutumés, et de se délecter d’une seconde dimension plus riche en symboliques et en interprétations à plusieurs niveaux.
Anima, c’est-à-dire le «souffle», est celui qui conditionne notre homme à mener une quête de sens (ou de non-sens) de Montréal à Kahnawake, jusqu’à la réserve indienne Akwesasne, où se cacherait, selon les dires des policiers de la Sûreté du Québec, Welson Wolf Rooney, l’impitoyable meurtrier de Léonie. Mais, à travers cette histoire où la vie d’un homme bascule du tout au tout, ce n’est pas l’évènement en soi qui impressionne le lecteur, mais bien la façon dont la narration est menée d’une main de maître; c’est en effet par le regard scrutateur des animaux de l’environnement du protagoniste que le récit est raconté.
Dix ans après la parution de Visage retrouvé, publié chez Leméac Éditeur, Wajdi Mouawad revient sur la scène littéraire pour présenter un second roman ambitieux qui ne laissera pas un lecteur de marbre. Donner la parole à un chat, un chien, un boa, un singe, un raton laveur et une araignée relève en soi du génie et de l’audace la plus pure, puisqu’il n’est pas donné à tous d’offrir une histoire intelligente au sein de laquelle, comme tout bon conte pour enfants, les animaux parlent (ou pensent) comme les humains. Évidemment, chaque animal ou insecte prend la parole, silencieusement bien sûr, et nous raconte une bribe de l’histoire, et ce, toujours grâce à une linéarité irréprochable.
Sur ce point, Wajdi Mouawad reprend à sa façon l’audace déjà exploitée en littérature par l’écrivain comique David Safier, notamment avec Maudit karma (2008), mais aussi avec la célèbre trilogie policière Les fourmis (1991) de Bernard Werber, tout en apportant une innovation marquée sur le plan narratif. Malgré cette multitude de points de vue, Anima n’est en aucun cas un roman complexe qui vous donnera d’impitoyables maux de tête, mais plutôt une histoire à double sens qui vous obligera à sortir de votre confort intellectuel afin de bien en apprécier le sens profond.
Appréciation: ***1/2
Crédit photo: Leméac/Actes Sud
Écrit par: Éric Dumais