LittératureDans la peau de
Crédit photo : John Sharp
Daniel, on vous souhaite la bienvenue à cette série d’entrevues! Vous êtes né à Penetanguishene, en Ontario, et depuis que vous avez obtenu votre baccalauréat en traduction avec concentration en Lettres françaises à l’Université d’Ottawa, en 1983, l’écriture est devenue, pour vous, votre passion première. La preuve, votre œuvre comprend aujourd’hui une vingtaine de publications parmi lesquelles on retrouve onze romans jeunesse, un recueil de nouvelles et quatre romans pour adultes, et des ouvrages historiques. Parlez-nous brièvement de votre parcours et de votre amour pour la littérature.
«J’avais environ 12 ans quand j’ai su que j’avais la piqûre. Pour le talent, 50 ans plus tard, c’est au public lecteur d’en juger. Je suis un auteur à la fois passionné, mais pratique. Puisque je savais que les chances de gagner ma croûte uniquement à écrire de la fiction étaient très minces, j’ai tenté, dès mes débuts, de développer un éventail d’intérêts et de compétences. Aussi, j’ai toujours sauté sur les occasions (bourses, commandes, formations, concours, écriture collective…) qui se présentaient.»
«J’ai commencé en littérature jeunesse en partie, parce que je voyais le besoin de raconter des histoires proches de notre vécu de francophones en milieu minoritaire, une réalité absente du paysage littéraire à l’époque. Avec le temps, j’ai écrit, entre autres, de la fiction pour grand public, des romans historiques, de la science-fiction, et j’ai fait de la scénarisation (dont un long métrage, La Sacrée).»
«Parfois, des éditeurs ou des associations m’ont approché pour entreprendre des projets d’écriture, mais le plus souvent, je suis partie de ma propre étincelle afin de trouver un âtre pour accueillir mes flammes créatrices. Cela m’a donné l’occasion de travailler avec presque une dizaine de maisons d’édition différentes. J’ai pu écrire un livre, La première guerre de Toronto, qui s’est concrétisé en moins d’un an, et d’autres, comme mon roman L’eau de vie (Uisge beatha), qui a pris dix ans avant d’aboutir.»
«La constante a toujours été d’aller au bout de mon histoire, même sans savoir si elle finira par intéresser les autres.»
Pour vous, écrire «c’est faire de l’art visuel avec les mots». Qu’entendez-vous par là? Parlez-nous donc de votre rapport à l’écriture et du bien qu’elle vous procure au quotidien.
«Je vais être honnête: je dessine très mal. C’est une des raisons qui m’a poussé à créer avec des mots plutôt qu’avec un pinceau. Je suis un auteur très axé sur l’histoire, sur la façon de voir l’histoire. Quand je me mets à écrire, je visualise l’action et les personnages très clairement dans ma tête. Alors, mon défi (parce que j’ai de la difficulté à même tracer une ligne droite avec une règle), c’est de transposer ces images sur papier avec des mots pour faire en sorte que ceux et celles qui lisent mon histoire puissent la visualiser dans leur tête aussi.»
«Cependant, il ne faut pas se contenter de dire ce qui se passe, il faut le montrer, donc utiliser ces images écrites pour véhiculer des informations et des émotions. C’est la meilleure façon d’inciter une personne à lire l’histoire. Décrire “le parfum délectable de la fumée qui flotte au-dessus de la montagne de spaghettis” afin que cette image, qui illustre que le repas est chaud et délicieux, stimule les sens des lecteurs.»
«Et ce qui est merveilleux, c’est que chaque personne recrée l’image dans son esprit selon sa propre imagination et ses expériences. C’est tellement plus stimulant que la télé, où l’image est imposée à la personne qui la regarde. Alors, dessiner avec les mots peut être aussi passionnant que peindre.»
«Quand je me relis et que j’éprouve la même émotion sensorielle qu’au moment de l’écriture, je sais que je suis sur la bonne voie.»
Le 28 mars, les Éditions David ont dévoilé Pigeons de fortune, publié dans la nouvelle collection pour les 9-13 ans, Pigeon voyageur, qui met en vedette une ville ou un lieu du Canada. À travers ce récit, les lecteurs et les lectrices feront la connaissance de deux ados, Valérie et son frère Pierre, qui vivent difficilement le deuil de leur père. Lors de leurs vacances estivales qu’ils passeront chez Léa, la cousine de leur mère, celle-ci leur fera découvrir sa volière et leur proposera un défi : choisir un pigeon voyageur pour une course de… 350 kilomètres! Et selon le résultat de la compétition, Léa décidera si elle renoue ou non avec son frère cadet, qu’elle boude depuis 20 ans! Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire qui se déroule au bord de la baie Georgienne, en Ontario?
«La Huronie, cette région à 160 km au nord de Toronto, que ma famille habite depuis près de deux siècles, a toujours été une grande source d’inspiration en raison de sa longue histoire, de ses gens hauts en couleur et sympathiques, et des aspects féeriques reliés à sa géographie particulière. C’est pourquoi je suis toujours heureux de la mettre en valeur, et j’espère que c’est réciproque!»
«Cette histoire, comme c’est souvent le cas d’ailleurs, est le fruit d’une convergence d’idées et de circonstances. D’abord les idées: des réflexions qui me chicotent depuis un certain temps sur le deuil et la mésentente, la plupart du temps insensée, qui survient dans les familles au point d’empêcher la communication. Ensuite, les circonstances: les Éditions David ont lancé une toute nouvelle collection qui s’appelle Pigeon voyageur. Dès que j’ai entendu le titre de la collection, les rouages ont commencé à tourner. Je me disais qu’une histoire avec des pigeons voyageurs, ça, ça pourrait prendre son envol!»
«J’ai donc entrepris ma recherche pour me rendre compte que je connaissais très peu de choses au sujet de ces pigeons incroyables et, qu’en plus, ce que je croyais en savoir était tout croche. Alors, j’ai appris des aspects fascinants de ces créatures intrépides, et là, j’ai commencé à concevoir comment je pourrais orchestrer une rencontre entre deux pigeons qui s’entendent super bien et deux jeunes qui sont à couteaux tirés.»
«Pigeons de fortune en en est le résultat.»
On l’avoue, vous piquez notre curiosité, car «cette course entre les pigeons Pé et Voyag prendra une tournure inattendue et dramatique, autant pour les jeunes que les pigeons voyageurs». Sans tout nous dévoiler, bien sûr, donnez-nous au moins une idée des défis que rencontreront vos personnages.
«Une situation de course ou de compétition, c’est un formidable chaudron pour porter une histoire à ébullition. Même qu’on souhaite que ça déborde. Et c’est ce qui se passe ici.»
«L’enjeu de la course dévoilé au départ paraît sans conséquence néfaste. En principe, tout le monde s’en sortira gagnant. Mais voilà que la rivalité et le malaise entre Pierre et Valérie transforment l’enjeu en une situation où tout le monde pourrait perdre. De leur côté, les pigeons, une fois relâchés, l’un à Windsor (en face de Détroit) et l’autre à Ottawa, s’engagent dans des parcours semés d’embûches météorologiques et autres que personne ne pouvait prévoir. Ils nous les décrivent de leur point de vue et, plus ils avancent, plus ça va mal.»
«Les deux jeunes vont se ronger les ongles et regretter de s’être embarqués dans cette folle équipée qui échappe complètement à leur contrôle.»
Comme vous êtes un vrai touche-à-tout en matière d’écriture, notre petit doigt nous dit que vous avez déjà d’autres idées en tête pour nous faire voyager – et réfléchir! – à travers des univers réalistes ou bien complètement fictifs. Si ce n’est pas un secret d’État, donnez-nous donc un aperçu des idées qui mijotent dans votre tête!
«Ah! Des idées, ça oui. J’en ai qui naissent régulièrement sur une base au moins hebdomadaire. Or, comme je me le répète souvent: c’est beau d’avoir une idée du tonnerre, mais elle ne vaut rien sans son complément, l’exécution. Et passer à l’action n’est jamais aussi facile qu’imaginer des histoires fabuleuses.»
«Plus concrètement, en ce moment, on met les dernières touches à un roman pour jeunes (14 à 18 ans) que j’ai coécrit avec ma conjointe, Micheline Marchand, qui est aussi écrivaine, Le tribunal: le cas de Nico (à paraître aux Éditions David en 2024). C’est une histoire de fantômes où le comique se mêle au dramatique dans une réflexion sur la vie abordée en parcourant un au-delà déroutant.»
«Aussi, je travaille présentement à la rédaction d’un récit pour le webzine pour jeunes Mon Mag à moi, soit une histoire de traîneaux à chiens (oui, encore une course, mais contre la mort cette fois) qui se passe en 1931.»
«D’autres projets potentiels m’interpellent. Cependant, ma paresse m’interdit d’en parler à ce stade, car là je serais bien obligé de les exécuter!»