ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Yves Renaud
La genèse de ce projet théâtral remonte à 2018, alors que Jean-Marc Dalphond, comme à tous les 6 décembre, publie sur Twitter les noms des 14 femmes ayant été les victimes de la tuerie de l’École Polytechnique de Montréal, dont celui de sa cousine Anne-Marie Edward. Le but avoué? Honorer la mémoire de ces jeunes femmes parties trop tôt.
«Le plus drôle, c’est qu’on ne se connaissait pas tant que ça», raconte Marie-Joanne. «On s’était vus quelque temps avant dans un party de fin de tournage, et on avait un grand respect pour le travail de l’autre, mais c’est tout.»
De son côté, Marie-Joanne Boucher publie, le même jour, une photo de son fils sur Facebook, accompagnée d”un message touchant sur les valeurs qu’elle souhaite lui inculquer et sur la manière dont elle veut lui raconter cet épisode sombre de notre histoire, afin qu’il ne soit jamais oublié.
Or, quelques minutes après la publication du tweet de Jean-Marc Dalphond, une avalanche de messages haineux déferle sur ce réseau social…
Marie-Joanne, piquée au vif, convainc alors Jean-Marc d’écrire une pièce de théâtre documentaire dans le but de comprendre ce qui génère, encore aujourd’hui, tant de haine lorsqu’il est question de la sécurité des femmes et de leurs droits.
Les réseaux sociaux: un lieu de peur et de haine (mais pas que!)
«J’étais complètement sous le choc d’apprendre que des gens pouvaient écrire des horreurs comme ça. “Les filles ont mérité leur sort”, etc. Pour moi, c’était complètement surréaliste. On ne pouvait pas laisser ça comme ça. Je ne voulais pas laisser Jean-Marc seul face à tout ça», se remémore Marie-Joanne Boucher.
La trame narrative de leur quête théâtrale tente ainsi de répondre à plusieurs grandes questions: “Pourquoi la haine est-elle si présente sur les réseaux sociaux?” “Quelle est la relation des Québécois et Québécoises avec les armes à feu?” Est-ce que ces dernières sont bien réglementées?” Tant de questions auxquelles les créateurs et leurs interprètes tentent de répondre tout au long de ce spectacle d’une durée de deux heures et 50 minutes, avec un entracte.
«On s’est rencontrés sur les réseaux sociaux, donc il y a quand même de la beauté qui peut émerger de là!», précise Jean-Marc Dalphond.
À les entendre, les deux créateurs s’entendent sur une chose: que l’on soit proche ou que l’on soit loin de cette tragédie, l’événement du 6 décembre 1989 reste un sujet extrêmement difficile à aborder. La violence faite aux femmes persiste, encore de nos jours, et a un impact sur chacun et chacune d’entre nous.
«Ça fait cinq ans qu’on travaille sur ce projet-là. Ç’a été une chance énorme d’avoir pu s’appuyer l’un sur l’autre. Il faut essayer de se protéger, de protéger notre santé mentale surtout, lorsqu’on traite d’un sujet comme celui-là. On a vraiment été de bon conseil l’un envers l’autre dans les moments où c’était plus difficile», témoigne Marie-Joanne Boucher.
«J’ai eu des craintes énormes au début. J’avais vu ma tante souffrir beaucoup de tout ça, et encore aujourd’hui, plusieurs menaces sont envoyées aux femmes qui parlent de la tragédie ou qui militent publiquement contre les violences faites à ces dernières de manière plus générale. J’ai eu peur pour Marie-Joanne, peur que ma famille retombe dans ce tourbillon-là», raconte Jean-Marc Dalphond.
Lorsque les deux créateurs ont voulu tester les premiers jets de leur projet sous forme de carte blanche au Théâtre La Licorne avant la pandémie de COVID-19, une pluie de menaces est tombée sur le compte personnel de Marie-Joanne Boucher.
«J’étais naïve au début, c’est sûr». Mais je pense qu’il fallait que j’aie une certaine naïveté, parce que, sinon, le spectacle ne se ferait jamais. J’ai été tellement inspirée par la famille de Jean-Marc qui a milité tellement longtemps contre les armes à feu après le décès de sa cousine. C’est le combat de ces gens-là qui a été notre moteur.»
Et pourquoi le théâtre?
La tragédie qui a eu lieu à Polytechnique Montréal a inspiré plusieurs cinéastes, notamment Denis Villeneuve avec Polytechnique et Judith Plamondon, avec Polytechnique: Ce qui reste du 6 décembre. À la question “Et alors, pourquoi se servir du théâtre pour parler de cet événement?”, les deux artistes s’entendent sur une évidence: le théâtre est un lieu de partage. Ils souhaitent que les gens du public réfléchissent ensemble, comme un tout.
«On veut que la communauté s’énergise pour pouvoir changer les choses», explique Marie-Joanne Boucher.
À une époque où le théâtre interactif et immersif qui flirte par moments avec le cinéma est à l’honneur, le duo de créateurs, aidé par les têtes pensantes de la compagnie Porte Parole (J’aime Hydro, L’Assemblée, Rose et la machine), Alex Ivanovici et Annabel Soutar, souhaite garder l’aspect poétique du théâtre.
Le public peut donc s’attendre à une mise en scène fort ingénieuse de Marie-Josée Bastien, qui fait ici son entrée au TNM avec ce spectacle où elle a réussi à conserver intacte l’essence même du théâtre, ainsi que la poésie des corps.
Projet Polytechnique, c’est beaucoup plus qu’une pièce incontournable! C’est l’occasion d’aborder des enjeux capitaux et de réfléchir à l’avenir que nous voulons en tant que collectivité. À l’affiche sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 13 décembre. Achetez vos billets sans plus tarder!
*Cet article a été produit en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde (TNM).
La pièce documentaire «Projet Polytechnique» en images
Par Yves Renaud