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Crédit photo : Yanick Macdonald
Maxim Gaudette incarne le défunt auteur Simon Roy dans cette lecture de Ma vie en rouge Kubrick. Du moins, il ressemble étrangement à l’auteur, manuscrit et crayon à la main. On pourrait aussi y voir l’enseignant de littérature qu’il était, offrant au public (ou à sa classe) une analyse méticuleuse du film The Shining.
Au-delà de cette dissection kubrickienne, Roy partage un récit autobiographique stupéfiant où l’on peine à croire que la réalité est aussi terrifiante que la fiction.
Ma vie en rouge Kubrick ou les poupées russes de l’horreur
Ce spectacle pourrait ressembler à des poupées russes macabres à l’instar du film The Shining, où trois histoires sanguinaires s’enchevêtrent: d’abord, celle de Jack Torrance, habité d’une folie meurtrière, qui menace d’assassiner son épouse Wendy et son fils Danny; puis, celle de son prédécesseur, Charles Grady, qui a assassiné sa femme et ses deux jumelles avec une hache avant de se suicider; et finalement, une histoire sous-jacente: l’Hôtel Overlook a été construit au-dessus d’un cimetière autochtone où s’est produit un terrible génocide…
Et le drame de Simon Roy, lui?
L’auteur porte en lui une généalogie macabre. En 1942, sa grand-mère Aurore a été abattue à coups de marteau par son époux, un docteur qui jouissait d’une bonne réputation. Ses deux fillettes de cinq ans, Christiane et Danielle, ont assisté, horrifiées, à cet acte d’une violence inouïe. Leur père a été retrouvé pendu dans la grange quelques jours plus tard.
Danielle, la mère de Simon Roy, a porté les séquelles de ce traumatisme toute sa vie. Elle commettra deux tentatives de suicide, l’une en 1984, et la seconde, irréparable, en 2013.
Une mise en scène brillante
Dans l’adaptation théâtrale de Ma vie en rouge Kubrick, le metteur en scène Éric Jean nous replonge dans le célèbre film The Shining, avec l’utilisation d’extraits sonores et visuels. Avec parcimonie, toutefois, laissant le soin à l’acteur Maxim Gaudette de capter l’attention du public, ce qu’il parvient à faire d’une main de maître.
Le silence qui régnait dans la salle ce soir-là était palpable.
Nous étions bercés par sa voix, hypnotisés par sa silhouette se dessinant sous les éclairages chauds et enveloppants du concepteur lumière Cédric Delorme-Bouchard. Le choix des pièces musicales venait, tout au long du spectacle, ponctuer des moments plus intimes, surtout lorsqu’il parlait des tendances suicidaires de sa mère et de l’irréparable, qu’il n’a malheureusement pas pu éviter.
La mise en scène est totalement réussie, puisqu’elle est à l’image du TOC de Kubrick. On sait que le réalisateur accordait une importance maladive aux symboles et aux interprétations. On se rappelle du fameux nombre 42. Par exemple, 42 voitures sont stationnées devant l’hôtel; Danny répète le mot Redrum à 42 reprises; Wendy fend l’air de 42 coups de bâton de baseball pour se protéger de Jack.
Et au-delà de ce nombre qui revient sous de multiples formes, on y aperçoit également l’image d’un Indien et de sa coiffe sur une boîte de conserve, clin d’œil direct au génocide autochtone qui s’est produit à cet endroit.
À travers l’adaptation de Ma vie en rouge Kubrick, Maxim Gaudette, dans la peau de Simon Roy, semble atteint de ce trouble obsessionnel compulsif, déplaçant constamment le mobilier. Sur scène, il dispose constamment deux chaises de manière symétrique de chaque côté, accordant un soin particulier à ce que le pupitre de travail soit absolument placé au centre.
Une belle façon de rendre hommage à Kubrick, qui utilisait souvent les jeux de miroir dans son film.
Une finale digne d’un film d’horreur
Plus la pièce avance, plus la frontière entre l’histoire de Simon Roy et celle de The Shining s’amincit jusqu’à disparaître. L’auteur a même inclus l’apparition de Lloyd à travers la trame du récit, le barman de l’Hôtel Overlook. Cette scène est angoissante en raison du caractère étrange de Lloyd: ce dernier est énigmatique et semble sommer Roy d’une mise en garde: la mort n’est jamais très loin.
Quand le suicide te précède de deux générations, n’est-ce pas une option séduisante?
Personnellement, si j’avais pu accorder 42 étoiles à cette pièce, je l’aurais fait. Pour moi, c’est un sans faute captivant, tant pour les amateur·trice·s de l’œuvre de Kubrick que pour les néophytes.
La scénographie recèle de symboliques pour notre plus grand plaisir: ce tapis rouge incandescent évoque le sang, alors que les objets en apparence anodins ont tous été réfléchis au fond. Ainsi, la dactylo posée dans un coin se veut un clin d’œil à celle de Jack, une machine à écrire Adler de marque allemande ayant servi au régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale.
Et que dire de la finale si touchante dédiée à Simon Roy qui m’a fait verser une larme!
Cette adaptation réussie m’a permis d’avoir un accès direct à un auteur qui manquera à notre littérature québécoise et à son univers.
L'avis
de la rédaction