ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Danny Taillon
Dans 3, 2, 1…
Dès l’ouverture du rideau, le ton est donné: une douzaine de comédiens fourmillent, avec empressement, sur la grande scène du Théâtre Duceppe, métamorphosée pour l’occasion en plateau de télévision américaine. Et bien vite, une énergie fébrile flotte dans l’air, accentuée par une agitation à donner le tournis.
C’est ainsi que réalisateurs, caméramans, assistants de plateau, maquilleuse, techniciens, régisseur plateau, annonceur, et j’en passe, prennent position, chacun à leur place, avec aplomb et professionnalisme, afin d’être bien en phase avec l’univers ultra chronométré d’une chaîne de télé à l’échelle nationale.
«Mesdames et messieurs, bonsoir. Ici Howard Beale», lance à la manière d’un mantra répété maintes et maintes fois Denis Bernard (convaincant jusqu’au bout des ongles) en ouverture de bulletin de nouvelles, nous plongeant ainsi dans l’actualité de l’année 1975, le 22 septembre pour être plus exact, jour où le président Gerald Ford a essuyé une tentative d’assassinat par arme à feu sur sa personne.
Quand le show devient un freak show
Ce dernier, dans la peau d’un animateur vedette littéralement «au bout du rouleau», qui se fera montrer la porte en raison de cotes d’écoute insuffisante, convainc d’emblée tellement sa prestation est sentie. Et j’oserais même ajouter qu’il porte carrément ce spectacle sur ses épaules, et ce, malgré la présence de onze comédiens – aux rôles plus secondaires cela dit – qui gravitent autour de lui. C’est lui le show. Ou le freak show, c’est selon…
Au-delà de sa prestation bluffante et à couper le souffle, seule une poignée d’acteurs tiennent un rôle plus «marquant» à travers cette histoire qui part en dérape. Hugues Frenette, en Max Kaufman, ce vieil ami qui annoncera à Howard Beale qu’il est viré après 25 ans de loyaux services – et qui ne peut s’empêcher de lancer des âneries du style: «Ah, pis d’la marde, pourquoi se limiter! L’exécution de la semaine! Tous les dimanches, on te donne la chance de voir un nouvel invité se faire pendre, noyé, écartelé…», et ce, sans réfléchir aux conséquences – oui, il a su rendre plus vrai que nature ce personnage grossier et absurde, à l’image de ses compères, finalement. Aussi, les performances de Luc Bourgeois, en Ed Kelly, et de Charles-Étienne Beaulne, en Frank Hackett, se démarquent également par la sincérité de leur jeu.
Cependant, une qui aurait pu tirer davantage son épingle du jeu c’est Gabrielle Côté, en Diana Christiensen, jeune recrue au cœur de pierre qui a une soif inextinguible de sensationnalisme et de pouvoir, et qui ne se rend même pas compte qu’elle se déshumanise au passage. C’est bien le cadet de ses soucis, oui! Bref, j’aurais apprécié une présence scénique plus assurée – sa voix, malheureusement, manque de fermeté, et son attitude n’est pas aussi glaciale qu’on l’aurait espérée. C’est dommage, dans un sens, car son personnage, délicieusement malsain et horrifiant, avait tout le potentiel de «voler le show».
Parlant d’horreur, les mots de l’auteur Lee Hall sont sans équivoque et sans pitié. Et ils continuent de résonner, comme en échos, au-delà de l’expérience théâtrale qu’est Salle de nouvelles. Mais pour que ceux-ci aient trouvé ce même ancrage dans la langue de Molière, il allait de soi qu’un traducteur d’expérience se devait de la jouer fin finaud. Je tiens à souligner l’excellent boulot de David Laurin à ce niveau.
Si la mise en scène de Marie-Josée Bastien reste dynamique et d’un réalisme absolu, nous offrant une immersion vertigineuse sur un plateau de télé où chacun se transforme en bêtes de cirque, Howard Beale inclus, j’aurais aimé savourer quelques scènes en dehors du plateau, histoire de prendre une bouffée d’air frais de temps en temps. C’est que, pour une économie de temps, et de moyens, chaque parcelle de la scène est utilisée pour le bon enchaînement des scènes, avec des fondus au noir pour marquer le rythme. Si l’intention c’était de nous faire étouffer, c’est réussi.
Une pièce à voir absolument… mais!
En somme, si vous êtes à la recherche d’un divertissement léger pour vous vider l’esprit après une dure semaine, Salle de nouvelles n’est clairement pas ce qu’il vous faut. Avec des sujets aussi lourds que le suicide, le terrorisme, le sensationnalisme et le capitalisme à tout prix, vous en ressortirez les batteries à plat, c’est moi qui vous le dis. Par contre, c’est un show d’une intelligence féroce qui porte à réfléchir. Il faut juste trouver le bon moment pour le digérer.
La pièce «Salle de nouvelles» en images
Par Danny Taillon
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