«Pour réussir un poulet» de Fabien Cloutier au Théâtre La Licorne – Bible urbaine

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«Pour réussir un poulet» de Fabien Cloutier au Théâtre La Licorne

«Pour réussir un poulet» de Fabien Cloutier au Théâtre La Licorne

Comme une odeur d’huîtres pourries

Publié le 25 septembre 2014 par Isabelle Léger

Crédit photo : Suzanne O'Neill et Rolline Laporte

La Manufacture lance sa saison automnale avec panache, rires francs et grincements de dents à la Licorne. Fidèles à leur mission de discuter de situations sociales actuelles aux rapports de force conflictuels, la compagnie théâtrale et son lieu de diffusion frappent dans le mille avec cette nouvelle création mise en scène par l’auteur lui-même, Fabien Cloutier.

Deux amis, Steven et Carl (Hubert Proulx et Guillaume Cyr), adolescents attardés devenus pères inaptes, que la vie enchaîne l’un à l’autre malgré leur conception du monde très divergente. Deux jobeux sans éducation et sans avenir, qui ne savent plus quoi faire pour se sortir la tête de l’eau. De tels pauvres types trouveront toujours sur leur route un salaud qui acceptera de les exploiter pour leur rendre service. Dans leur cas, ce bienfaiteur s’appelle Vaillancourt (Denis Bernard). Lorsqu’ils décident d’abandonner le ramassage de ferraille pour se lancer dans une gamique de livraison d’huîtres, ils mettent le doigt dans un engrenage vorace et impitoyable.

Critique theatre Licorne Pour reussir un poulet_1

Les personnages se révèlent peu à peu dans ce texte qui ne les excuse ni ne les défend. Ils vivent, ils font ce qu’ils peuvent (ou croient pouvoir). Carl, le débonnaire fan de Queen prêt à toutes les compromissions, offre à Guillaume Cyr de belles occasions de subtilité et de nuances, tandis que le rôle de Steven, nerveux, lucide et pitoyable, semble avoir été écrit sur mesure pour Hubert Proulx. Denis Bernard, qu’on aime tant aimer, nous accule tout autant que ses vis-à-vis. De la manipulation à l’escroquerie en passant par l’intimidation et l’abus, aucune bassesse ne répugne à son Vaillancourt, qu’elle soit simplement abjecte ou carrément criminelle, mais généralement les deux à la fois.

Introduite par une musique de conquête victorieuse (Misteur Valaire), la scène d’ouverture ancre solidement acteurs et spectateurs dans le vif du sujet. Non pas uniquement par la langue, qui deviendra plus incisive et corrosive dans les scènes subséquentes, mais surtout par le discours de Vaillancourt sur le fait que «on est ce qu’on mange». Ce plaidoyer pour la saine alimentation («cette cochonnerie-là, ça rentre pas dans moi») s’avèrera d’une contradiction inouïe, d’une malhonnêteté insultante en regard de la marde qu’il provoque et jette sur tout le monde.

fabiencloutier©rollineLaporte

La structure éclatée des dialogues, elliptiques et enchevêtrés, est équilibrée par une mise en scène sans artifices. Leur réalisme cru est amené dans la poétique théâtrale par un jeu souvent frontal. Malgré tout, c’est une mise en scène qui laisse toute la place aux rapports humains en n’imposant pas ou peu de référent spatio-temporel. Dans un espace indéterminé sans être flou, le spectateur construit lui-même l’environnement habité de quelques chaises et délimité par un panneau de fond d’un jaune éclatant, comme si le soleil ne se couchait jamais sur la misère (décor de Maude Audet). Cloutier fait même parfois jouer à l’assistance le rôle de l’écran auquel Judith, la mère de Steven, s’adresse (Marie Michaud, dont le sens du punch et du timing ne se dément pas).

A-t-on quelque chose à reprocher à cette pièce? Le fait qu’elle se boucle en une petite heure et cinq minutes, pendant laquelle on a ri jaune presque tout le temps? Bien franchement, c’est le temps que ça prend pour réussir un beau gros poulet de grain bio bien nutritif, pas une minute de moins, et pas une de plus.

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