ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Valérie Remise
En haut des longs escaliers du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, dans une petite salle intime à l’éclairage tamisé, Camille Paré-Poirier nous attend près d’un fauteuil vide. Ce fauteuil où l’on ressent la présence – et l’absence – de Pauline.
La voix de cette dernière accompagnera seule sa petite-fille tout au long de la représentation: pas d’autres acteurs, pas de décors superflus. Le cœur de la pièce, c’est l’échange entre ces deux femmes que soixante-dix ans et la mort ne séparent pas, tant l’amour qui les unit est fort.
Cette œuvre très personnelle raconte autant la maladie de Pauline que le deuil de Camille. Un deuil blanc, puisque sa grand-mère était encore en vie lorsque la personne que sa famille connaissait si bien a commencé à disparaître. Les pertes de mémoire classique (oublier son mari décédé, ses enfants, Camille elle-même) s’accompagnent de sautes d’humeur constantes et d’une grande colère que Pauline déverse sur sa petite-fille, alors son seul exutoire.
On peut ainsi l’entendre, dans des enregistrements exclusifs ne faisant pas partie du balado, pleurer d’une manière incontrôlable durant de très longues minutes: si ces pleurs rendent les spectateurs inconfortables, c’est qu’ils ressemblent étrangement à des éclats de rire.
Pauline affirme ne plus savoir comment pleurer, et son désespoir immense perce nos tympans.
Lorsque la pandémie s’installe, Pauline est alors en CHSLD. C’est au téléphone que Camille continue de lui rendre visite, et la tâche n’est pas toujours simple. Les préposé∙e∙s sont débordé∙e∙s, on entend bien le chaos qui règne alors dans ce milieu. Camille, de son côté, cuisine du pain et des pâtes fraîches, et se sent déconnectée du monde et de Pauline.
Désormais, leurs solitudes se croisent sans se rencontrer.
La mise en scène de Nicolas Michon se fait discrète afin de laisser la place nécessaire aux voix des deux femmes. Elle se contente seulement de renforcer, ici et là, les propos de Camille Paré-Poirier, leur donnant la petite poussée qu’il faut pour les propulser jusqu’au fond des cœurs des spectateurs. Les quelques accessoires, tels qu’une couverture, un bol de soupe, une boîte en carton, illustrent sobrement les moments que Camille traverse au fil des années. Les éclairages donnent différents aspects à la scène, tantôt chaleureuse, tantôt froide, et en redéfinissent sans cesse l’espace.
Des accompagnements musicaux atténuent la tristesse des spectateurs lorsqu’ils entendent, sur une bande sonore rythmée, Pauline répéter avec de moins en moins d’aisance les prénoms de ses enfants. Puis, dans un moment crève-cœur, sa voix s’élève, fragile et tremblante, superposée à celle de Barbara qui parle du temps perdu qui ne se rattrape plus. L’équilibre entre humour et tristesse est habilement tissé.
Le jeu de Camille Paré-Poirier est juste et alterne l’humour et le sérieux dans un équilibre parfait. Elle se confie aux spectateurs sans gêne, mais ne se donne pas en spectacle: elle est tout simplement elle-même.
À travers ce récit, Camille Paré-Poirier s’interroge sur différentes questions. D’abord, la relation de proche aidant, dont elle conclut qu’elle apporte autant à celui qui donne qu’à celui qui reçoit. La place que nous donnons aux aînés, ces grands oubliés de la pandémie, dans notre société capitaliste où tout le monde doit avoir un rôle, une fonction, est aussi au cœur de la fibre de son œuvre.
L’autrice et comédienne signe ici, au terme de sa résidence au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, un récit de soi vulnérable fort de sa transparence. Grâce à elle, le monde n’oubliera pas Pauline et, on l’espère, commencera peut-être à poser sur ses aînés un regard plus humain.
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de la rédaction