ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : David Ospina
Le rideau éponyme du Théâtre du Rideau Vert s’ouvre sur une salle à manger luxueuse, laissant deviner que l’action prend place chez une riche famille de la fin du XIXe siècle.
Eugène Rostand (Roger La Rue) y réside avec ses trois domestiques, Henri et Amandine Leguet (Gabriel Sabourin et Marie-Hélène Thibault), ainsi que leur fille, Marie-Anne (Élodie Grenier). Il désapprouve le séjour prolongé de son fils Edmond (Olivier Morin), ce dernier ayant femme et enfants l’attendant à Paris, en plus d’une carrière d’avocat que son père souhaite le voir reprendre.
Au départ, tout porte à se ranger de l’avis d’Eugène, puisque Rostand vient alors tout juste d’essuyer un énième échec artistique. Il persiste pourtant à écrire en alexandrins sur des personnages historiques qui n’intéressent personne. Comme Amandine le lui fait remarquer, le peuple a envie de rire, de s’amuser!
Mais le dramaturge a une deuxième raison de s’éterniser chez son père: la jeune Marie-Anne, que son cœur aime en secret depuis l’enfance. Malheureusement pour lui, elle n’a d’yeux que pour le beau Jérôme (Jean-François Pronovost), un soldat déserteur qui dissimule son identité sous le nom de Christian de Neuvillier. Il rêve de devenir acteur, mais ne sait y faire avec les mots. Ces derniers lui manquent cruellement lorsque vient le temps de déclarer sa flamme à Marie-Anne, et le protagoniste se porte à son secours.
Puisque Rostand se croit laid et indigne d’être aimé, il se cache derrière Christian, dans un manège qui aura de tristes conséquences pour chacune des parties impliquées. Fasciné par un écrivain du XVIIe siècle en qui il croit reconnaître sa propre souffrance, et inspiré par son amour impossible pour Marie-Anne, il se met à écrire Cyrano.
Gabriel Sabourin crée ici une double mise en abyme. Dans un habile jeu de miroirs, l’auteur revisite l’histoire d’un auteur qui revisite lui-même celle d’un troisième auteur. Chacun dépose une part de lui en l’autre, et chacun se réinvente sous la plume qui l’imagine.
Les vies de Rostand et de Cyrano se confondent jusqu’à n’en former plus qu’une seule, celle du second étant présentée comme inspirée de celle du premier.
La mise en scène de Stéphane Brulotte alterne avec justesse les aspects comiques et les côtés plus tragiques de la pièce, de manière à susciter des émotions vives et toujours changeantes. Gabriel Sabourin et Marie-Hélène Thibault partagent une forte chimie; les scènes de leur couple, au sein duquel la jalousie et les insécurités prennent un visage cocasse et attendrissant, ne cessent de faire fuser les rires.
Olivier Morin interprète un Rostand émouvant, son jeu laissant bien transparaître la sensibilité de l’écrivain, son romantisme, ses immenses rêves et son cœur fragile qui s’ouvre et se brise sur scène. Il manie avec aisance les vers en alexandrins de Gabriel Sabourin, lesquels font résonner une douce mélodie que notre époque moderne a bien tort d’oublier.
Les clins d’œil au chef-d’œuvre de Rostand, dont le texte est truffé, ne manquent pas non plus de faire sourire.
Ode à l’amour
Pif-Luisant est une pièce comme on en voit peu souvent aujourd’hui: fastueux costumes et décors d’époque, personnages grandiloquents au verbe haut et à la gestuelle large, ainsi que répliques vibrantes de poésie sont au rendez-vous, pour une expérience qui décoiffe et qui éblouit. C’est une grande fête où l’on célèbre l’amour: l’amour amoureux, bien sûr, mais aussi celui des mots et du théâtre.
Sous ces impressionnants atours, Pif-Luisant nous parle du courage d’aimer. Ce courage dont manque Rostand qui, aveuglé par l’image qu’il se fait de lui-même, s’impose la solitude comme une sentence à laquelle il ne peut échapper.
C’est toutefois dans cette douleur qu’il puise la beauté de son écriture et fait fleurir son talent.
La pièce «Pif-Luisant» au Théâtre du Rideau Vert en images
Par David Ospina
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