CinémaEntrevues
Crédit photo : Mathéo Lemay
D’emblée, vous devez savoir que ce documentariste a réalisé et produit une vingtaine de films dans sa carrière, autant dans l’industrie privée qu’à l’ONF. En 1990, il fonde sa compagnie de production Les Films du Centaure.
Entre les années 2005 à 2010, il rencontre pas moins d’une centaine d’artisans et de pionniers du cinéma québécois dans le but de préserver et d’honorer leur mémoire. Il est également parmi les membres fondateurs de Québec Cinéma et de la Coalition Culture.
L’apport de Denys Desjardins au cinéma québécois est indéniable, et sa plus grande force, c’est de naviguer avec beaucoup d’empathie dans la sphère de l’intime, afin de faire briller les étoiles à travers la constellation humaine.
De la cause du cinéma à celle de l’individu
Denys a toujours aimé filmer les gens proches de lui; ceux qui entrent dans sa vie, ses amis et aussi les personnes âgées, qu’ils aiment tant. C’est la relation qu’il entretient avec eux afin de mieux leur rendre hommage.
En 2017, il se rend à l’évidence, il doit prendre de plus en plus soin de sa mère. C’est aussi un moment dans sa vie où la question du vieillissement de la population et de la prise en charge des aînés au Québec l’interpelle de plus en plus.
Le choix du sujet au cœur de J’ai placé ma mère, que je vous recommande chaudement d’aller voir en salle dès le 17 mars, se trace tranquillement mais sûrement dans l’esprit du documentariste.
«Pour ma mère, c’était inévitable. Je l’avais déjà filmée, mais je n’avais pas encore fait de portrait d’elle. Et je m’en voudrais aujourd’hui de ne pas l’avoir fait. J’aurais été un cordonnier mal chaussé: il le fait pour tout le monde autour de lui, sauf pour ses proches!»
Le cinéaste m’a confié avoir été surpris lors de ses tournages dans les tours résidentielles où résidait sa maman. À son sens, il se dégage quelque chose de cocasse, voire d’exotique: «Les personnages, très colorés, les étages, le monde, les relations amoureuses, amicales… c’est un monde en soi. Un terreau fertile».
Cependant, Denys est bien conscient des paradoxes qui viennent avec ces résidences pour personnes âgées. Une lourde menace plane sur les résident∙e∙s, celle d’être délogé∙e, ce qui est un trauma renouvelé pour eux, car leurs repères sont chamboulés chaque fois que cela se produit.
Au début du film documentaire, on apprend que sa mère a été déménagée sur un étage plus sécurisé, car elle a embêté des résidents, ce qui a causé de la bisbille au sein de l’établissement. Denys Desjardins me mentionne cette perte de contrôle instantanée qu’il a ressentie:
«À ce moment précis, on ne le savait pas, mais on est tombés dans un système qui te prend en charge, te cote, te donne un numéro et t’envoie par-ci, par-là. La famille en sait très peu, en fait. La prise en charge de l’État est terrible…»
La scission entre les proches aidants et le système de la santé est apparente. Normalement, celui-ci devrait être au service des personnes âgées… Madeleine doit donc être de nouveau relocalisée, et ce, en 24 heures. Le cinéaste et sa sœur ont pris la décision en concert de refuser qu’elle soit logée à la Résidence Marie-Victorin, endroit qu’ils trouvaient inconvenant.
Dans une scène fort touchante du film, Maryse, la sœur de Denys, «sentait que sa mère allait faire du temps». Ce qu’elle veut dire par là, c’est qu’elle a eu la forte impression que le corps et l’esprit de sa maman allaient dépérir si elle la plaçait là-bas.
La travailleuse sociale l’a menacée de fermer le dossier de Madeleine. Ce qui s’est d’ailleurs produit, car leur position était inflexible.
Denys me fait part d’un autre constat troublant: «Là, on s’aperçoit que le système public, le CHSLD, est prêt à collaborer avec le privé. Non pour nous aider, nous et notre mère, mais pour aider Le Château à se débarrasser d’elle. Elle aurait pu être déplacée n’importe où, même si la seule place disponible est une place inadaptée. Heureusement, on a pu visiter l’endroit, et uniquement parce qu’on a dû insister!»
Par chance, une travailleuse sociale que le documentariste a rencontrée lors du tournage de L’industrie de la vieille$$e les a informés, Maryse et lui, qu’ils pouvaient déposer une plainte au commissaire aux plaintes et à la qualité des services.
Après seulement trois jours, la même travailleuse sociale les a rappelés pour leur annoncer que le dossier allait rouvrir afin que le nom de Madeleine figure de nouveau sur la liste d’attente.
L’inévitable: la pandémie de COVID-19
Puis, en mars 2020, survient la pandémie. Elle a ébranlé tout un chacun. Le gouvernement Legault a dû agir d’urgence et imposer des mesures drastiques. Les personnes âgées n’ont pas eu d’autre choix que de rester cloisonnées à plusieurs dans une chambre. Sans droit de visite, ni de la famille ni des proches aidants.
À cette époque, les nouvelles diffusaient en boucle la détresse humaine. La situation catastrophique des personnes âgées nous parvenait de loin.
J’ai placé ma mère est un point de vue intérieur de cette détresse humaine, au royaume de l’intime.
Hélas, Madeleine est tombée malade à ce moment-là et elle a dû rester au CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci que Denys et sa sœur avaient choisi pour son bien. Elle testait pourtant négatif à la COVID-19, ses soucis de santé étaient donc tout autre, mais elle ne pouvait être isolée des résidents qui eux testaient positif…
Il est clair que pour Denys et Maryse, la situation était intenable.
Ces proches aidants, outillés d’une formation de préposé∙e, étaient à cette époque pas si lointaine écrasé∙e∙s par la frontière inaccessible et le sentiment d’impuissance. Le cinéaste me confie, la voix brisée: «On leur a fait confiance; on leur a donné ce dont on a de plus précieux, notre mère.»
Malgré l’état de santé de Madeleine qui empirait, elle n’a pas pu être amenée aux urgences. Les soins qu’elle aurait dû normalement recevoir étaient déficients à cette époque.
«Je place ma mère dans l’image»
À un moment de notre discussion, Denys Desjardins me fait part de son impression globale sur son métier: «Je dirais que c’est un drôle de métier, celui de documentariste, parce que tu rentres en contact dans la vie privée des gens. On s’attache. C’est quasiment “à la vie, à la mort”. Ma mère, ma maman, c’est le symbole ultime de ça.»
J’ai placé ma mère est un film percutant qui révèle avec beaucoup de justesse et de sensibilité une réalité qui nous touchera tous à un moment ou l’autre de notre vie.
Ce film est dédié à la mémoire des 5 060 personnes âgées décédées dans les CHSLD du Québec entre mars et décembre 2020.
Madeleine Ducharme-Desjardins est l’un de ces visages, dont la joie de vivre brille au travers de cette tragédie.
À votre tour d’avoir la chance de visionner ce journal filmé évocateur qui prend l’affiche officiellement dès le vendredi 17 mars. Voici la liste des cinémas participants à Montréal, Québec, Sherbrooke et Trois-Rivières:
- Cinéma Beaubien ∙ Avant-première suivie d’une ciné-rencontre le 16 mars à 19 h ∙ Achetez vos billets
- Cinémathèque québécoise ∙ Sortie en salle à partir du 17 mars ∙ Table ronde le 19 mars à 14 h avec Marjolaine Goudreau et Stéphanie Baby ∙ Achetez vos billets
- Cinéma Public∙Sortie en salle à partir du 17 mars ∙ Ciné-rencontre le 17 mars à 18 h ∙ Achetez vos billets
- Cinéma Le Tapis Rouge ∙ Sortie en salle à partir du 17 mars ∙ Ciné-rencontre le 21 mars à 19 h ∙ Achetez vos billets
- La Maison du Cinéma ∙ Sortie en salle à partir du 17 mars ∙ Achetez vos billets
- Cinéma Cartier ∙ Sortie en salle à partir du 17 mars ∙ Achetez vos billets
- Cinéma Le Clap ∙ Sortie en salle à partir du 17 mars ∙ Achetez vos billets prochainement!