ThéâtreEntrevues
Crédit photo : William Arcand
«C’est d’abord une histoire de dévoilements. Le titre l’évoque bien: c’est le traitement de tout ce qui est caché, de ce qui n’est pas visible, de la noirceur.» – Marie-Pier Labrecque
Une histoire aux multiples facettes
Un soir, Bernard et Viviane soupent en contemplant leur propriété, entretenue avec soin par leur nouveau jardinier, Jérémie. Leur fille Léna revient d’une nouvelle fugue, mais le couple fait comme si de rien n’était. Plusieurs récits s’inventent: Léna et Jérémie élaborent un plan pour se débarrasser des parents; Bernard doit soudainement arrêter sa voiture au milieu de la route; Viviane s’inquiète, au matin, de ne pas retrouver son mari à la maison.
Le rêve et la parole jouent ici un rôle important dans ce qui façonne le réel.
Pour les deux comédiens, résumer l’intrigue racontée dans Le traitement de la nuit est complexe. «C’est la question aux mille réponses, et ce n’est même pas une exagération: Evelyne de la Chenelière a écrit un texte très riche, qui donne un résultat pluriel», explique Marie-Pier Labrecque. «Il ne faut pas en dire trop, car l’idée, ici, est que le spectateur puisse se créer sa propre histoire. On est également près du rêve, avec des tableaux que ce dernier peut remanier selon la manière dont ils lui sont parvenus.» Elle ajoute que, dans le cas de son personnage, Léna, il s’agit aussi d’une histoire de conflit: «il y a un conflit entre la fille et les parents, et on observe sa réaction par rapport à ça, une réaction qui se dévoile différemment la nuit.»
Selon Lyndz Dantiste, il y a plusieurs lectures possibles de cette pièce de théâtre: «Nous-mêmes, en répétition, nous n’avons pas les réponses complètes à savoir ce qui est vrai et ce qui est faux. On parle de ce qui aspire les personnages de la pièce à avoir un autre comportement, une autre façon de faire pendant la nuit.»
«Je crois qu’Evelyne voulait montrer les travers humains qui se produisent durant la nuit, qui ne sont pas ce que l’on met de l’avant d’habitude: on préfère montrer ce qui est plus beau. Le traitement de la nuit, pour moi, signifie aussi le travers de la nuit, de quelle manière la nature humaine sort lorsque c’est la nuit versus celle dont elle se manifeste le jour.» – Lyndz Dantiste
Lorsqu’ils auront assisté à une représentation, les spectateurs se poseront tout autant de questions que les acteurs. «C’est une pièce où on repart chez soi avec beaucoup de matériel auquel réfléchir parce que les réponses ne sont pas données au spectateur. Il a un travail à faire sur ce qu’il a compris du récit, et je trouve ça le fun comme expérience d’aller voir une œuvre où l’on ne se fait pas prendre par la main.»
Le titre de la pièce est cependant un bon indice pour comprendre les sens cachés qu’elle peut détenir: «Pour moi, “traitement” est synonyme de “diffraction”, une espèce d’analyse en plusieurs facettes, comme un rayon de lumière qui se diffracte et présente plein d’éclats différents. C’est comme si on brisait la nuit: on la traite au sens où on la décortique, et on observe les couleurs qui sortent de cette explosion», nous explique Marie-Pier Labrecque.
Une comédie noire
Si Le traitement de la nuit parle d’obscurité, c’est également une œuvre où l’humour prend une place essentielle. D’après Marie-Pier Labrecque, il s’agit d’une comédie noire: «On rit beaucoup en répétition, parce que les pulsions des personnages dont on parlait plus tôt amènent des débordements et on ne peut pas s’empêcher de rire! Il y a quelque chose d’inattendu qui peut être très drôle, une espèce d’absurdité qui ressort de tout ça.»
Un humour qui se révèle nécessaire pour les comédiens, croit Lyndz Dantiste: «Il y a aussi beaucoup de malaises, et on a besoin de sortir un peu ce rire-là, car il y a un inconfort. Evelyne fait dire certaines choses assez horribles à ses personnages, et on doit l’accepter. C’est malaisant, grinçant et on a besoin du rire face à cela.»
Une symphonie musicale
Pour mener à bien ce projet, le metteur en scène Denis Marleau a accordé une attention toute particulière au texte, car la parole est ici le fil rouge du récit: c’est à travers elle que tout prend forme. Marie-Pier Labrecque y trouve son compte: «Denis est un maître de la parole et du langage; sa richesse est dans son rapport au texte, qui fait qu’il est capable d’emmener les acteurs à des endroits inconnus pour eux-mêmes. Cette rencontre avec le texte, pour moi, est vraiment juste et précise: Denis nous permet de travailler toutes les nuances dans les moindres détails, ce qui relève presque de l’orfèvrerie. Là où je trouve mon plus grand plaisir, c’est vraiment dans les infimes ajustements, la recherche des bonnes tonalités.»
Et pour Lyndz Dantiste, ce travail du texte n’est pas sans rappeler Beethoven: «On dirait qu’on est en train de travailler une symphonie de Beethoven ensemble. Une fois qu’on a lu le texte, on croit savoir où l’on s’en va et on a parfois tendance à y aller un peu trop vite: Denis est capable de nous retourner complètement dans l’autre sens pour trouver ce qui est le plus juste, ce qui fonctionne le mieux. Il y a un côté musical au travail de Denis qui me parle énormément, et ça donne un aspect plus instinctif et moins cérébral à notre jeu.»
«Je suis choyé de travailler avec l’un des plus grands metteurs en scène du Québec», ajoute-t-il. «Denis a réussi à former une équipe soudée, ce qui est important, car ce n’est pas un travail qui est très simple, justement parce qu’il passe vraiment par la parole et par le texte. Je peux me laisser aller en toute confiance au sein de l’équipe, et avec Marie-Pier, avec qui je travaille particulièrement.»
«On est vraiment chanceux de s’avoir, Lyndz et moi, parce que notre relation nous permet une élévation de soi, et une grande liberté dans le travail. Je sens déjà que ça va être vraiment trippant pour la run de show», conclut Marie-Pier Labrecque.