LittératureDans la peau de
Crédit photo : Tous droits réservés @ Éditions David
Jean, c’est un honneur d’échanger avec vous! Tour à tour journaliste, professeur et haut fonctionnaire, vous avez toujours accordé une place centrale à l’écriture dans vos activités professionnelles et dans votre vie. D’où vous est venue cette passion, en fait?
«La courte réponse: de ma maman. La longue réponse: une veille de Noël, quand j’avais huit ans, ma mère a commencé à déballer les cadeaux sous l’arbre de Noël. Mon frère ouvre son cadeau: c’était une belle toupie rouge, qu’il commence à faire danser sur le plancher. J’étais fasciné par ce déhanchement rouge devant mes yeux.»
«Je déballe mon cadeau: je m’attendais à avoir une toupie bleue qui danserait quand je lui en donnerais l’impulsion. Horreur: c’était une série de romans de la Comtesse de Ségur. J’étais effondré, mais ma mère avait vu juste: après avoir dévoré ces romans, j’ai eu une soif inextinguible pour la lecture, que je n’ai jamais étanchée.»
«Et la lecture a sculpté mon écriture: mes dissertations à l’école me gratifiaient de bonnes notes et l’écriture a pris le relai de la lecture dans mes passions et dans ma vie.»
Parmi votre œuvre littéraire, on compte six romans, trois récits jeunesse et plusieurs essais qui ont été récompensés par de nombreux prix littéraires. Comment expliquez-vous cette capacité que vous avez à écrire et à créer dans des genres aussi éclectiques?
«J’ose dire que c’est la curiosité qui m’a ouvert tant d’avenues d’explorations. Une petite anecdote qui illustrera ce processus: j’ai évoqué tantôt la Comtesse de Ségur. Or, dans ses romans, elle décrivait souvent des ruisseaux, des forêts. Comme je suis né en Égypte où il n’y a que le désert et un seul immense fleuve, je me demandais: à quoi peut ressembler une forêt? Et un fleuve qui se jette dans un autre fleuve? Et un ruisseau?»
«J’ai dévoré alors des livres d’histoires, d’autres romans, et ma carrière comme journaliste m’a ouvert d’innombrables sentiers sur l’histoire du monde et sa géographie. Par ailleurs, mes études qui m’ont mené au doctorat nécessitaient la lecture d’une énorme quantité de livres spécialisés. Enfin, mes voyages m’ont mis en contact avec de nombreuses civilisations qui ont construit le décor de mes romans d’aventure et d’amour.»
Le 14 février, votre roman Par-delà les frontières est paru aux Éditions David. Vous nous plongez dans le Canada de la fin des années 1930, alors qu’un Canadien de souche et une Italienne sont tombés amoureux l’un de l’autre, et ce, malgré la méfiance entretenue par les Canadiens français envers les immigrants italiens qui vivent dans un véritable «ghetto à ciel ouvert». Mais l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale va affecter leur relation, puisque les Italo-Canadiens deviennent alors des «ennemis étrangers»… Qu’est-ce qui vous a donné envie de parler de cet épisode historique en particulier?
«Encore une fois, un événement en apparence insignifiant m’a poussé à tâcher de comprendre cette période au Canada: en 2021 0u 2022, le premier ministre Trudeau a présenté des excuses publiques à la communauté italo-canadienne pour le traitement qu’elle avait subie pendant la Seconde Guerre mondiale.»
«Je savais déjà que le Canada s’était excusé à nos concitoyens d’origine japonaise pour le traitement subi en 1939, mais je n’avais qu’une très vague idée de l’ostracisme contre la communauté italo-canadienne. Je me précipite dans les bibliothèques, j’apprends que le concept de “enemy alien”, “ennemis étrangers”, n’avait pas seulement concerné les Germano-Canadiens, mais aussi les Italo-Canadiens.»
«Il y avait là la semence d’un roman: une injustice aussi flagrante à l’égard de citoyens qui n’avaient rien à voir avec Mussolini m’avait ahuri! Puis, j’ai appris que certains segments de la communauté franco-canadienne admiraient Mussolini…»
«J’ai alors élaboré une intrigue autour d’un de mes thèmes préférés: l’amour triomphe des différences, qu’elles soient ethniques, religieuses ou politiques. L’amour triomphe de tout.»
Au fil des pages, vous vous appliquez à faire revivre «une période méconnue de l’histoire du Québec, marquée par la montée du fascisme italien, l’émergence de l’extrême droite, la crise de la conscription et le débarquement du Royal 22e Régiment en Sicile durant la campagne d’Italie.» Pouvez-vous nous dire sur quelles sources (documents d’archives, coupures de journaux…) vous vous êtes basé pour évoquer cet épisode historique avec le plus d’exactitude possible?
«J’ai consulté certains journaux d’époque sur le site Web de Bibliothèques et Archives Canada. Par ailleurs, j’ai lu quelques ouvrages pour me plonger dans l’époque:
Les Mémoires de Winston Churchill;
Le Canada et la Campagne d’Italie dans l’Encyclopédie canadienne;
Les Italo-Canadiens emprisonnés au camp de Petawawa;
Des ouvrages et des articles sur l’histoire de Montréal;
Des ouvrages sur le Royal 22e Régiment.»
Imaginons que tout soit possible le temps d’un instant, et que nous ayons une machine à remonter le temps! Quel événement historique aimeriez-vous vivre et voir de vos propres yeux, et pour quelles raisons?
«C’est votre question la plus difficile! Il y a tellement de moments fascinants dans l’histoire de l’humanité!»
«Par exemple, le moment où nos premiers ancêtres ont découvert la manière de faire du feu, ou le moment où les premiers paysans de la vallée du Nil ont découvert l’agriculture, huit millénaires av. J.-C., ou le premier hiver de Champlain en Amérique du Nord (que j’ai décrit dans un texte publié dans l’ouvrage collectif Sur les traces de Champlain).»
«Mais puisque vous me poussez au pied du mur, j’aurais aimé être à Paris, en 1778, dans l’appartement où vivait Voltaire quelques semaines avant sa mort, quand le politicien américain Benjamin Franklin (qui maîtrisait la langue française) est allé lui rendre visite, puis s’est mis à genoux devant lui et lui a demandé de le bénir.»
«Cette scène semble inaugurer les relations entre l’Amérique du Nord et l’Europe, qui ont dominé l’histoire mondiale depuis deux siècles et demi et qui ont créé notre monde moderne, ses valeurs, sa politique.»