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Crédit photo : Marc-André Thibault
Le spectacle est composé de poèmes et de pièces musicales, inspirés d’estrans visités par Sauvageau et Miron à travers le Québec. De cela a découlé un livre-disque magnifique, dernier ouvrage du catalogue de la maison d’édition Possibles éditions.
Les gens au cœur de ce projet sont Guillaume Martel LaSalle, l’artiste-concepteur du livre, l’écrivaine Isabelle Miron, qui a entre autres dirigé L’État nomades (L’instant même, 2021) et un trio de musiciens dont Sébastien Sauvageau est à la tête. Ce dernier a également à son actif deux albums, composés avec son ensemble l’Oumigmag.
Une poésie riche en émotions
L’apaisement a été au cœur du concert. L’éclairage bleu et mauve, jeté sur les artistes, ajoutait au caractère intimiste de la salle. Au pied de la scène, les feuillets de partitions et les pages de L’estran, épars, conviaient au recueillement.
Isabelle Miron, parée d’une grande robe blanche, a déclamé les poèmes, sourire aux lèvres. Au départ, ils étaient récités sans soutien sonore. Graduellement, la musique s’est invitée puis a amplifié la teneur du texte.
Celui-ci est un appel à une prise de conscience de la nature, de sa préséance. L’estran est un lieu d’accueil des éléments nous entourant et porte ses marques. Il joue sur l’espace et la temporalité:
«Cailloux striés, coquillages
et bois de grève
témoins érodés des fonds
et des rives d’ailleurs
voyageurs sans frontières
et sans cesse ballottés
chaque jour échoués
et repris par le fleuve
sans cesse transformés
par les cycles lunaires.»
En ces temps de stress quotidien, le concert a été une grâce. Il m’a bercée tout au long.
Miron nous a également partagé des souvenirs d’enfance, dont on peut reconnaître certaines similitudes avec les nôtres. Entre autres, le sentiment d’être invincible à un jeune âge:
«Éclats de bleus un peu partout, d’ocres en grappes, de beiges mouillés. Reviennent à la mémoire les images de ma mère et de ma tante courbées sur l’estran, à la recherche de jets d’eau, sur le sable, qui trahiraient la présence de «clams». Je faisais de même, ainsi que mon petit frère avec qui je rivalisais d’agilité, sautant d’une pierre à l’autre, éclaboussant nos bottes avec force rires. C’était au cœur de l’été, au moment où l’on croit la saison suspendue, immortelle, lorsque les couleurs du ciel, en soirée, ondoient de rouge et d’ocre.»
Les estrans sont en perpétuel changement: les sédiments, le roc et le littoral s’érodent. Ils sont porteurs d’ères révolues: les amarres d’embarcations rappellent l’époque des premiers bateaux européens.
Les mots d’Isabelle sont justes et probants. Ils nous amènent à nous émerveiller de la nature et la respecter.
Une sonorité qui porte
Que dire de la musique, sinon quel chef-d’œuvre! Elle est un terreau propice à la quiétude.
Les pièces changeaient d’un air jazz à un autre plus contemporain, pour finalement enflammer la salle avec une sonorité plus trad’.
Les instruments variés étaient maniés par des mains de maître: Sébastien Sauvageau à la guitare et au chant, Dâvi Simard au violon et autres instruments à cordes (j’ai eu un coup de cœur pour le jouhikko, instrument d’origine scandinave au timbre distinct) et Mili Hong (en remplacement d’Isaiah Ceccarelli) à la batterie.
Le bord du fleuve est venu jusqu’à nous, à Montréal, grâce au bois flotté et aux galets frottés. Cette palette de sonorités gagnait une couche supplémentaire lorsque la voix portante de Miron se faisait entendre.
Une chose est sûre, nous avons été transportés: les nombreux applaudissements au cours du concert et l’ovation en clôture qui a duré plusieurs minutes en sont la preuve.
«Ce matin sur l’estran de novembre
le vent sans relâche siffle
et fait tonner les vagues odorantes.
N’osent le braver que des fuligules
s’élançant vers leur destination
en phase avec la résistance
des éléments.»
Le chant du signe de Possibles éditions
L’estran est la dernière publication du catalogue de Possibles éditions. Il est disponible en deux tirages limités. Le premier, fait entièrement en sérigraphie, assemblé à la main et composé de dix feuillets-affiches, se vend au prix de 45 $. Le deuxième est l’édition régulière au prix de 30 $.
Également dans le cadre de FIL, une exposition rétrospective des dix ans de la maison d’édition québécoise a lieu jusqu’au 2 octobre à la librairie Le Port de tête (262, avenue du Mont-Royal Est).
L’entrée de cette «exposition funéraire festive», comme l’a décrit Possibles éditions, est gratuite et accessible de 10 h à 22 h.