ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : François Laplante Delagrave
Grand noctambule des boulevards parisiens, les matins de Georges Feydeau débutent toujours en fin d’après-midi. S’étant longtemps nourri de ses escapades pour concevoir ses populaires chassés-croisés entre mari, femme et amant, l’écrivain finit par se heurter au syndrome de la page blanche. Ce fléau de tous les artistes deviendra bien vite le moindre de ses soucis alors qu’il se voit embobiné dans une spirale de mésaventures avec son vieux directeur de théâtre éperdu d’amour, son ex-femme folle de jalousie, une admiratrice particulièrement insistante, puis son fils banquier angoissé chronique. Grâce au tragédien Sicard, il finira par réussir à terminer son dernier vaudeville… au prix de sa paix d’esprit.
La force principale de la mise en scène de la pièce Le prince des jouisseurs, c’est qu’elle ne passe pas par quatre chemins pour afficher ses couleurs. Pour Feydeau, il n’y aurait en effet pas meilleure façon d’expirer son dernier souffle qu’«entre les cuisses d’une femme». À partir de là, tout déboule à un rythme haletant qui laisse à peine au spectateur le temps de souffler (ou de s’ennuyer).
Les répliques fusent de partout dans une cascade de quiproquos rivalisant d’humour. Alain Zouvi campe admirablement le rôle musclé de Feydeau et vole la vedette avec Jonathan Michaud, tout simplement tordant dans son rôle du fils banquier d’un «désespoir amusant». Jouant dans sa propre comédie, Gabriel Sabourin livre également une performance toute en finesse du copiste Sicard.
Au-delà des duels aux bouteilles de vins et des prises de tête les pantalons baissés, la comédie demeure empreinte de symboliques cachées. Du coup, les archétypes vaudevillesques de Feydeau et de son entourage réel se confondent et se perdent au fur et à mesure que l’intrigue se révèle. Leurs passions éclipsent celles du protagoniste, qui laisse son imaginaire le submerger. La ligne entre la réalité d’une tristesse étonnante de Feydeau et le théâtre qu’il chérissait tant se brouille dans la maladie de l’écrivain.
Somme toute, Le prince des jouisseurs dépasse ingénieusement la simple biographie, dans le sens où elle démontre à quel point la vie de tous les jours a pu inspirer les plus grands classiques de Feydeau, et le genre comique en général. Gabriel Sabourin signe ici en première mondiale une pièce d’une subtilité savoureuse comme on en voit de plus en plus rarement dans le genre comique théâtral. Elle mérite d’être savourée autant par les initiés que par ceux qui connaissent moins le vaudeville de Feydeau.
«Le prince des jouisseurs» est présentée du 16 septembre au 11 octobre au Théâtre du Rideau Vert.
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