LittératureDans la peau de
Crédit photo : Mathieu Rivard
Annabelle, Marie, Myriam, on est ravis de pouvoir échanger avec vous aujourd’hui! Vous qui œuvrez activement dans le milieu de la littérature québécoise – Annabelle, tu as été rédactrice en chef de Lettres québécoises de 2017 à 2021, Marie, tu es éditrice indépendante et tu enseignes l’édition du manuscrit à l’Université de Sherbrooke, et toi, Myriam, tu travailles en relations de presse depuis plusieurs années –, pourriez-vous nous dire à quand remonte votre passion pour les livres?
Annabelle: «J’ai toujours lu… Mes parents étaient de bons lecteurs, j’ai fait de belles découvertes dans leurs livres, et nous allions aussi à la bibliothèque chaque semaine. Avec le recul, j’ai l’impression que la littérature était un moyen de communication dans ma famille, tout comme le cinéma d’ailleurs.»
Marie: «Pareil, la lecture était très valorisée dans ma famille et il m’arrivait souvent de re-re-lire ce que j’avais sous la main. Dans un exercice de première année où nous devions imaginer notre vie sous forme de biographie, j’avais prédit que je vieillirais entourée de bibliothèques remplies de livres que j’avais écrits! Ça semble hautement égocentrique aujourd’hui, et je ne suis pas écrivaine, mais je retiens toutefois l’importance que j’accordais déjà à la littérature.»
Myriam: «La bibliothèque était aussi bien remplie à la maison, je pouvais y lire de tous les genres. C’est à l’école que j’ai commencé à fréquenter les œuvres des grand.es auteur.rices. Je me souviens avoir lu tout Kundera et tout Kafka pendant mes étés. J’avais envie d’avoir tout lu… Je sais maintenant que j’en serais incapable, mais le désir est toujours là.»
Le 25 mai dernier, vous avez lancé Pavillons, « une plateforme qui permet aux créateur.rice.s de se dédier à des projets d’écriture en feuilletons, et aux lecteur.rice.s de s’abonner à ces projets pour en découvrir le contenu de manière exclusive. » On est curieux de savoir: comment est né ce projet, et qu’est-ce qui vous a motivées à vous lancer toutes les trois dans cette aventure?
Annabelle: «L’idée vient de Marie! Elle nous a contactées, Myriam et moi, pour que nous puissions unir nos forces. Nous en sommes venues à la conclusion qu’il fallait créer un espace de création entre une revue culturelle et une maison d’édition. Pour ma part, j’aime les projets inédits, expérimentaux, où il faut insuffler beaucoup de soi et de sa passion.»
Marie: «Au début de l’année 2021, j’ai lu un article de fond sur le mouvement de la newsletter, et j’ai été frappée lorsque j’ai réalisé à quel point ce modèle ouvrait le champ des possibles et permettait d’imaginer les métiers de l’écriture. Pour l’éditrice que je suis, ça représentait un nouveau défi, et j’ai très rapidement contacté Annabelle et Myriam, parce que ce sont deux femmes en qui j’ai confiance et aussi parce que j’ai une immense admiration pour l’expertise qu’elles ont développée dans le milieu littéraire. Elles ont plongé sans hésiter dans une réflexion de fond: le trio s’est formé très naturellement.»
Myriam: «J’étais ravie de l’idée novatrice de Marie. Ça nous a permis d’avoir des discussions et de formuler des propositions sur les nouvelles méthodes de lecture et sur notre façon de concevoir l’édition. C’était le défi parfait, pour moi, dans un moment où les médias et l’industrie culturelle doivent se réinventer.»
Pourriez-vous nous en dire plus sur ce concept où des écrivain.e.s tels que Martine Delvaux, Patrick Senécal, Marie-Sissi Labrèche ou encore Catherine Voyer-Léger présentent leur projet de création autour d’une thématique qu’ils ont choisie eux-mêmes?
Annabelle: «La formule du feuilleton nous parlait à toutes les trois. Pour nous, un feuilleton, c’est une manière d’entrer en relation directe et à long terme avec des créateur.rices. Nous avons sollicité des écrivain.es que nous aimions, d’abord, et qui étaient prêt.es à se lancer avec nous dans une exploration numérique semaine après semaine, mois après mois.»
Marie: «Nous guidons les auteur.rices dans toutes les étapes, bien que le travail menant à la publication d’un feuilleton (écriture, mise en forme, entrée du contenu sur la plateforme) soit réalisé dans une relative indépendance. Les textes sont souvent autoportants, c’est-à-dire qu’ils peuvent être lus indépendamment les uns des autres, même si, pour la plupart, il y a un vrai bénéfice à les lire tous, et dans l’ordre. Cela signifie néanmoins que, peu importe le moment où s’abonnent les lecteur.rices, ils et elles pourront monter dans le train et en tirer du plaisir.»
Myriam: «Il est important pour nous que Pavillons soit perçue comme une nouvelle manière de créer. C’est d’ailleurs, pour nos auteur.ices, un beau défi: celui de créer et d’expérimenter en temps réel, et parfois sans même connaître le dénouement de leurs histoires!»
Avec cette plateforme, vous cherchez à donner la place la plus large possible à la création littéraire, que ce soit de la fiction ou de la poésie, de la critique, de la chronique ou du texte d’opinion, de l’illustration et même de la bande dessinée! Pourquoi avoir choisi le Web – de même qu’un système d’abonnement – pour faire connaître la littérature d’ici et créer du lien entre les écrivain.e.s et leurs lecteur.trice.s?
Annabelle: «Après cinq années comme rédactrice en chef de Lettres québécoises, j’ai pu constater les embûches d’une revue papier: coûts d’impression élevés, augmentation du prix du papier, ou encore distribution complexe. Avec Pavillons, on élimine les intermédiaires et, par le fait même, cela veut dire plus de sous dans les poches des auteur.rices.»
Marie: «Je constate qu’aujourd’hui encore, on a l’impression que littérature et Web ne font pas bon ménage. Les livres numériques ne prennent que peu de place sur le marché au Québec (ce qui est vrai). Il n’y a pas d’expérience comparable à celle de tenir un livre entre ses mains, etc. Pourtant, de plus en plus de nos activités de consommation de produits culturels et d’information, ainsi que bon nombre de nos interactions sociales, se passent en ligne. La littérature doit y prendre sa place.»
Myriam: «Avec Pavillons, ce sont tous les genres littéraires que nous voulions intégrer. Le mot d’ordre est la création! Et pour faire rayonner la littérature québécoise, nous croyons qu’il y a encore beaucoup de possibilités avec le numérique, notamment de concevoir un lieu de création rassembleur ainsi qu’une communauté vibrante où les écrivain.es et les lecteur.rices peuvent échanger plus directement.»
À court ou moyen terme, comment espérez-vous que Pavillons grandisse et élargisse sa communauté? On se permet de rêver : quel serait votre souhait le plus cher pour les prochaines années?
Annabelle: «Nous avons tellement de projets! Mon souhait le plus cher serait que la plateforme et la communauté perdurent, mais surtout que de nouvelles voix en fiction, non-fiction, poésie, essai, etc., puissent trouver une communauté solide et, qui sait, publier ensuite leurs créations en papier!»
Marie: «Que Pavillons se développe de manière à accueillir toujours plus, notamment des projets dans d’autres langues, d’autres formes d’arts, des auteur.rices et des lecteur.rices qui dépassent les frontières québécoises ou canadiennes.»
Myriam: «Pavillons, c’est d’abord un lieu, un lieu que j’aimerais voir prendre vie. Nous souhaitons rencontrer nos lecteur.rices et nous avons plein d’idées: des soirées lectures, des événements littéraires, mais aussi un festival qui nous permettrait d’échanger avec d’autres communautés artistiques et de susciter des moments de création unique.»