«Zo reken», un documentaire sur les enjeux politiques, néocolonialistes et humanitaires actuels

«Zo reken», un Toyota Land Cruiser fascinant de complexité

En Haïti, où la situation est extrêmement tendue depuis le séisme de 2010, des Toyota Land Cruiser circulent un peu partout sur le territoire. Très prisés par les organisations humanitaires internationales, ces véhicules tout-terrain puissants font parfois l’objet de méfiance de la part des habitants: en effet, s’ils sont le symbole de l’aide humanitaire, ils peuvent aussi être utilisés à des fins de répression.

Comme l’explique Emanuel Licha, «Quand un zo reken arrive, les habitants ne savent jamais si c’est celui d’une ONG qui va venir pour les aider, ou si c’est celui de la police ou de mercenaires qui vont leur tirer dessus, donc c’est vraiment un objet très ambigu et très complexe.»

Interpellé par la symbolique forte du véhicule, le cinéaste a décidé d’en faire le sujet de son film «pour voir quelle relation se développe autour de cet objet physique et spatial, en le suivant dans le pays où il se déploie.» Pour cela, le Toyota Land Cruiser a été détourné de sa fonction première, puisqu’il a été transformé en un espace de discussions et d’échanges de points de vue entre son chauffeur et les citoyen.ne.s montant à bord. Ainsi, sans filtre, l’état du pays, la néocolonisation, l’aide humanitaire, la répression politique et la violence subie sur place ont entre autres été abordés en son sein.

Par la même occasion, à l’écran, les déambulations à Port-au-Prince permettent de constater le contexte «explosif» sur place, entre les nombreuses barricades et manifestations.

Le réalisateur Emanuel Licha. Photo: Anselm Bautzener

L’expérience de tournage d’un road movie documentaire

Afin de mener à bien son projet, Emanuel Licha s’est inspiré de techniques très proches du journalisme. Par exemple, il a décidé d’embaucher ce qu’on appelle un fixeur, c’est-à-dire un local ou un journaliste sur place, qui va assister et conduire les reporters étrangers, en plus d’assurer la traduction, si nécessaire.

«En cherchant un fixeur, je suis tombé sur Pascal-Antoine, qui est le conducteur du véhicule dans le documentaire», nous apprend notre interlocuteur. «On a passé une semaine ensemble à naviguer dans Port-au-Prince, et une amitié s’est développée. J’ai vu que c’était quelqu’un de très accueillant, très ouvert à des formats de films documentaires un peu différents. Il était peut-être plus habitué à accompagner des documentaires de type reportages.»

Pour offrir une réelle immersion dans la vie des Haïtiens, le réalisateur et son équipe ont volontairement invité divers types de passagers à bord en multipliant les canaux de communication.

En effet, «Dans le documentaire, on voit des passagers qu’on avait ciblés d’avance depuis Montréal et avec qui on a échangé sur place. D’autres nous ont contactés spontanément, parce qu’ils avaient entendu parlé du projet qu’on avait annoncé via les médias sociaux», précise-t-il. «Aussi, plusieurs nous ont contactés par téléphone ou dans la rue, parce qu’on avait mis des panneaux magnétiques rouges très visibles sur le camion, annonçant en créole ce qu’on était en train de faire. Enfin, certaines rencontres ont eu lieu lors de ce qu’on pourrait appeler des “incidents de parcours”, où des gens (marchands de rue, vieilles dames) qui avaient besoin de notre aide pour transporter des marchandises sont montés en acceptant d’être filmés.»

Pour Emanuel Licha, le plus grand défi qu’il a rencontré dans le cadre de ce projet a été sans conteste au niveau des questions éthiques que la réalisation de Zo reken a soulevé, «surtout quand on vient critiquer des questions coloniales ou néocoloniales», précise-t-il. «Il y avait cette envie de provoquer mes interlocuteurs et moi-même, en laissant planer l’ambiguïté d’un véhicule rempli de blancs, hormis le chauffeur et les passagers. Qu’est-ce qu’on venait faire là au milieu, nous?», interroge-t-il de façon si pertinente à la fin de notre échange.

Alors, si vous avez envie de pousser plus loin la réflexion, ne manquez pas les ciné-rencontres avec Emanuel Licha qui auront lieu ce mois-ci:

• Au Cinéma Public les 18 et 26 mars à 18 h 30 et 18 h 20;
• À la Cinémathèque québécoise le 19 mars à 19 h;
• Au Cinéma Moderne le 20 mars à 17 h 45;
• Au Cinéma du Musée le 19 mars à 14 h lors d’une table-ronde animée par Claudia Hébert.

Pour plus d’information au sujet de ce long métrage documentaire, qui promet un réel dépaysement et une prise de conscience choc, visitez le site des Films du 3 mars en cliquant ici.

*Cet article a été produit en collaboration avec Les Films du 3 Mars