SortiesDans la peau de
Crédit photo : Carlos Riobo
Laura, c’est un plaisir de faire ta connaissance! Tu es une artiste visuelle qui détient, en plus d’un baccalauréat en arts visuels de l’Université Javeriana de Bogotá, une maîtrise en arts, création et technologies de l’Université de Montréal. Peux-tu nous dire d’où t’est venu cet intérêt pour les arts visuels et numériques?
«Je me considère comme une personne très visuelle. Lorsque j’étais petite, je me souviens que je regardais toujours les livres d’histoire de l’art et de géographie de mes parents pour les images. Je ne lisais aucun mot. Les couleurs, les formes, les textures et les paysages représentés à travers ces images communiquaient une atmosphère spéciale que je ne trouvais pas dans les mots à ce moment-là. Je passais de longues périodes à contempler les détails de ces images, imaginant l’histoire derrière chacune.»
«Après, durant mon adolescence, l’établissement de ma sœur et mon frère à l’étranger a été un événement qui m’a profondément marquée. Je suis la plus jeune, donc le fait de les voir partir, de rester seule avec mes parents, de contempler leur absence dans une maison que l’on avait partagée ensemble, et de mener une vie familiale “à distance”, ça m’a beaucoup interpellée.»
«À ce moment, j’ai commencé à m’intéresser à la dualité entre pouvoir et fragilité de la mémoire, des souvenirs, de la trace et de l’oubli. Cet intérêt est par après devenu un sujet vital dans ma vie, et c’est pendant mes études au baccalauréat que j’ai finalement trouvé le cœur de ma démarche artistique. J’ai ainsi développé une réflexion personnelle et poétique sur le caractère insaisissable de notre réalité et de notre existence.»
«À travers ma pratique artistique, j’ai comme objectif d’explorer plusieurs techniques dans le but de trouver la plus adéquate en fonction de ce que je souhaite communiquer. C’est la raison pour laquelle je crée des installations interactives, de la photographie, de la vidéo, des livres d’artistes et que j’écris également.»
Au sein de ta démarche artistique, tu t’interroges «sur la captation et la représentation de phénomènes immatériels et intangibles comme la lumière, le son ou le mouvement, et explore[s] les concepts d’espace et d’interactivité.» D’où puises-tu ton inspiration, et comment t’y prends-tu pour créer des œuvres si douces et colorées?
«Mon inspiration vient surtout de l’univers éphémère et parfois invisible qui nous entoure: les souvenirs immatériels, l’oubli, les phénomènes imperceptibles de la nature, l’intangible et l’incertain. C’est dans l’impossibilité de tout savoir et de tout déterminer que je trouve la beauté de notre existence. Tout apparaît et disparaît. Tout est à la fois éternel et éphémère. Pour moi, nous sommes le résultat de notre mémoire et de notre oubli.»
«Ainsi, au cœur de mon travail artistique, j’évoque une réflexion poétique sur l’inconnu et le caractère insaisissable de notre réalité et de notre existence. C’est ainsi que je considère mes œuvres, à savoir comme une quête minutieuse qui vise à donner à cet univers éphémère une manière de s’éterniser dans le temps et dans l’espace.»
«À travers mes installations, vidéos et photographies, je recherche les relations que nous créons avec le monde à travers nos souvenirs oubliés, les instants fugaces, les phénomènes imperceptibles et les moments incertains que nous ne maîtrisons pas. Je vise ainsi la création d’expériences uniques qui explorent la beauté, la douleur et l’impuissance que cette impossibilité génère dans notre esprit.»
«En utilisant des effets lumineux délicats et fragiles, des sons et des silences, des matériaux brillants et réfléchissants, j’invite le public à une contemplation attentive du moment présent.»
Peux-tu nous parler plus en détail d’une œuvre, d’une exposition ou d’une réalisation dont tu es particulièrement fière?
«J’aime beaucoup la série Portraits de lumière, que j’ai commencée en 2018, et que je développe actuellement.»
«Ce projet est né de mon intérêt pour le caractère éphémère et éternel de la mémoire. Tout le monde finit par disparaître, mais nous devenons immortels tant et aussi longtemps que les autres se souviennent de nous.»
«Se remémorer, c’est transformer des mémoires immatérielles et intangibles du passé en souvenirs qui vivent à jamais en nous. Quelque chose de similaire se produit avec la lumière: ce phénomène naturel est partout et nous révèle le monde, mais il reste lui aussi intangible et immatériel. Capter un reflet éphémère de la lumière dans une vidéo ou dans une photographie nous permet alors de le rendre éternel. Le moment a disparu, mais son existence perdure.»
«Avec en tête l’idée de créer un hommage pour mes parents, j’ai commencé à penser à la façon dont je pouvais évoquer le tempérament et l’héritage d’une personne grâce à la lumière.»
«Portraits de lumière est donc une série d’explorations audiovisuelles et matérielles, axées sur la création d’une représentation du tempérament de mes deux parents, et ce, grâce à la combinaison de propriétés lumineuses telles que la couleur, la réflexion et la réfraction.»
«En explorant les multiples possibilités des matériaux translucides, opaques et réfléchissants, j’ai créé une gamme variée d’effets lumineux, allant de l’organique au géométrique, qui évoque l’unicité des humeurs et des caractéristiques de chaque personnalité.»
«Ce travail est en somme une exploration personnelle de la lumière qui se veut une métaphore de notre existence, si puissante et complexe, mais si intangible et immatérielle. Et c’est aussi une façon de montrer comment, grâce à notre mémoire, nous pouvons atteindre notre propre immortalité.»
Tu as lancé, en 2020, le projet Matter of Light, au sein duquel tu crées des illustrations et des pièces décos qui «changent de couleur au cours de la journée en fonction de l’angle de lumière» et que l’on peut se procurer sur ton site internet pour enjoliver notre chez nous! Comment t’est venue l’idée de créer cette marque d’objets uniques pour la maison?
«L’idée de Matter of Light est née de mes explorations artistiques que j’ai menées durant ma maîtrise sur la lumière en tant que phénomène immatériel et sur la relativité de la couleur. J’ai testé les propriétés de la lumière sur différentes matières et cela a déclenché une exploration plastique très riche.»
«Influencée par ma passion pour la décoration intérieure, j’ai commencé à travailler sur l’idée de créer des objets d’art faits à la main que les gens pourraient emporter avec eux dans l’intimité de leurs espaces personnels. Ce sont des œuvres d’art uniques qui expriment mes explorations sur la lumière. Je voulais créer des objets concrets faciles à transporter et à installer dans n’importe quel type d’espace.»
«Avec cette idée en tête, j’ai commencé à créer des illustrations qui allaient me permettre de décorer mon espace personnel. Partant d’une exploration très intuitive des matériaux réfléchissants, ce que j’ai découvert m’a émue.»
Plus qu’un simple objet, j’ai pu créer une expérience de la lumière et de la couleur en constante évolution. Les pièces que j’ai réalisées changent de couleurs au cours de la journée en fonction de l’angle de lumière cela permet l’apparition d’instants éphémères de lumière dans la maison.»
«J’adore penser que chaque pièce de Matter of Light est conçue pour être contemplée dans le temps et qu’il suffit de se laisser surprendre par sa beauté toujours changeante.»
Et pour finir, peux-tu nous parler brièvement de tes projets et nous dire quelles sont tes prochaines explorations artistiques en vue? On est curieux!
«Je viens de réaliser une collaboration avec la poétesse Fiorella Boucher pour la deuxième édition des Rencontres multilingues en poésie, réalisée par Poésie Partout. L’œuvre audiovisuelle qui résulte de cette collaboration sera diffusée en ligne le dimanche 30 janvier à 20 h sur le site Facebook et YouTube de La poésie partout.»
«En mai, je partirai en France pour réaliser une résidence artistique au Château Éphémère, situé à Carrières-sous-Poissy, dans le département des Yvelines, un centre culturel spécialisé dans les arts numériques. Durant cette résidence, je vise à continuer mes explorations sur la captation et la représentation des phénomènes imperceptibles pour les sens humains.»
«D’autre part, mon copain Carlos Riobo et moi possédons Valaquia, un studio de photographie et de direction artistique dédié à la création de productions photographiques artistiques et commerciales. Nous développons actuellement des projets qui vont au-delà de l’image photographique, dont un travail avec des concepteurs sonores, la production d’un zine en collaboration avec une musicienne montréalaise, et d’autres projets qui sont encore en conception. À suivre!»
«Finalement, je continue mes explorations lumineuses avec Matter of Light. Mon objectif, cette année, est de créer ma plateforme pour la vente en ligne de mes œuvres. J’ai une nouvelle gamme de produits à développer en tête, de même que des illustrations holographiques, donc je vais prendre mon temps pour jouer, explorer et apprendre de nouvelles techniques!»
Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.
Le portfolio de Laura Criollo-Carrillo en images
Par Laura Criollo-Carrillo