«L'entrevue éclair avec...» Kama La Mackerel, traducteur.ice de «Fèms magnifiques et dangereuses» – Bible urbaine

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«L’entrevue éclair avec…» Kama La Mackerel, traducteur.ice de «Fèms magnifiques et dangereuses»

«L’entrevue éclair avec…» Kama La Mackerel, traducteur.ice de «Fèms magnifiques et dangereuses»

Vers une émancipation des personnes trans racisées

Publié le 14 octobre 2021 par Claire Groulx-Robert

Crédit photo : Noire Mouliom

Dans le cadre de «L’entrevue éclair avec…», Bible urbaine pose 5 questions à un artiste ou à un artisan de la culture afin d’en connaître un peu plus sur sa personne, sur son parcours professionnel, ses inspirations, et bien sûr l’œuvre qu’il révèle au grand public. Aujourd'hui, on a jasé avec Kama La Mackerel, un.e artiste pluridisciplinaire engagé.e dans divers milieux artistiques et dans les communautés LGBTQ+, pour en savoir plus sur l'ouvrage «Fèms magnifiques et dangereuses: Mémoires affabulées d'une fille trans» de l'autrice Kai Cheng Thom, publié aux Éditions XYZ, ainsi que sur l'impact de ce livre sur l'émancipation et l'affirmation des personnes trans racisées.

Kama, on est ravis de faire ta connaissance! Tu es un.e artiste multidisciplinaire qui a plus d’une corde à son arc: tu t’investis dans l’éducation, offres de la médiation culturelle, tu t’accomplis en danse, en théâtre et dans les arts. Tu écris aussi, en plus de travailler en traduction. Ton premier recueil de poésie, ZOM-FAM, a d’ailleurs été publié en 2020 chez Metonymy Press. À quel moment as-tu eu la piqûre pour la littérature, et plus particulièrement pour la traduction?

«J’ai découvert le goût pour la littérature assez tard dans la vie. J’ai grandi dans un contexte très ouvrier où la lecture, l’art et la littérature n’étaient pas valorisés. Je n’avais jamais mis les pieds dans une bibliothèque avant l’adolescence, par exemple. J’ai commencé à lire seulement quand j’ai eu 15-16 ans.»

«À travers les livres, j’ai découvert que je pouvais me sauver de la réalité qu’était ma vie. Mais j’ai aussi très vite compris le pouvoir des mots pour construire et refaire le monde.»

«La traduction est une pratique qui m’est un peu tombée dessus sans trop m’y attendre! En 2019, on m’a invité.e à traduire l’album jeunesse de Kai Cheng Thom, L’enfant de fourrure, de plumes, d’écailles, de feuilles et de paillettes. L’enfant, dans ce récit, n’est pas genré, puisqu’iel est à la fois un garçon et une fille, et on avait besoin d’une personne qui s’y connaissait sur l’utilisation du français inclusif pour traduire ce livre. J’ai accepté l’invitation.»

«De là, j’ai réalisé que la traduction littéraire est une pratique à la fois intellectuelle, poétique et émotionnelle qui permet de vivre entre et dans les mots. J’en suis tombé.e en amour!»

Les Éditions XYZ ont fait paraître le 13 octobre dernier Fèms magnifiques et dangereuses: Mémoires affabulées d’une fille trans, la version française de «Fierce Femmes and Notorious Liars: A Dangerous Trans Girl’s Confabulous Memoir», un roman de l’écrivaine canadienne Kai Cheng Thom paru en novembre 2016. Fais-nous le récit de ce qui t’a motivé.e à signer la traduction de cet ouvrage en particulier!

«Traduire un livre veut dire vivre la tête dedans! En tant que traducteur.ices, on finit souvent par connaître une œuvre plus intimement que l’auteur.ice même. Il est donc très important pour moi de traduire uniquement des livres dont je suis complètement en amour! Il faut que je veuille investir douze mois de ma vie à manger, boire, respirer et dormir avec l’œuvre en question.»

«Fierce Femmes and Notorious Liars est un roman que j’ai lu et relu au cours des années, et dans lequel je savais que je voulais bien vivre. Je pense que la sortie de ce livre était une expérimentation pour tout le monde — c’est le premier qu’a écrit Kai Cheng Thom, l’un des premiers livres qu’a publié Metonymy Press, et je pense, qu’au fond, personne ne s’attendait à ce que ce premier roman, d’une jeune autrice, publié par une petite maison d’édition LGBTQ+ qui opérait depuis une cuisine dans un appart dans Rosemont-La Petite-Patrie, allait obtenir un succès aussi marquant.»

«Il me semblait donc naturel, dans le même esprit de risque, d’expérimentation, de culture DIY et de filiations LGBTQ+ montréalaises, que ce soit le tout premier roman que je traduise!»

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Ce roman, qui a remporté le Dayne Ogilvie Prize for LGBTQ Emerging Writers en 2017, participe à l’émancipation de la littérature queer et trans. À ton avis, en quoi joue-t-il un rôle important dans la communauté LGBTQ+?

«Je pense que la plus grande force de ce roman, outre sa fibre littéraire, bien sûr, c’est qu’au fond, il raconte un récit universel sur l’amour, la violence et l’acceptation de soi. Il y a encore une majorité de personnes LGBTQ+, surtout les personnes trans, qui vivent le rejet dès leur plus jeune âge. Ces personnes finissent par passer le reste de leur vie en quête d’amour, en quête d’acceptation, et en n’ayant pas toujours les outils nécessaires pour laisser vivre pleinement cet amour.»

«Je pense qu’en explorant les thèmes de la violence et de l’amour, Fèms magnifiques et dangereuses offre un chemin vers l’émancipation et la guérison. Comme le dit si bien la narratrice du roman à sa sœur: “La souffrance s’arrête uniquement quand on arrête de se faire du mal à soi-même”.»

La traduction est un métier qui peut représenter tout un défi, car il s’agit à tous les coups de trouver les mots justes pour bien refléter la langue et le ton originaux de l’auteur.e. Parle-nous un peu des défis rencontrés lors de la traduction du roman de Kai Cheng Thom.

«Il y a eu, bien sûr, plusieurs défis dans la traduction de ce roman. Je dirais que le fait d’avoir dû trouver une traduction pour fierce et pour femme, qui sont tous les deux présents dans le titre de l’œuvre en anglais, était l’un des plus gros challenges. Pour chacun de ces mots, il n’y a pas de traduction exacte en français.»

«Afin de trouver une manière de traduire femme (qui est devenu fèm), il m’a fallu effectuer plusieurs recherches: entre autres, mieux comprendre l’historique du mot en anglais, et comment ce mot s’est intégré dans la langue anglaise au cours des années 1940, et comment sa signification a changé au cours des années. J’ai aussi beaucoup consulté des communautés LGBTQ+ francophones de partout afin de mieux cerner comment femme était utilisé en français dans différents contextes communautaires LGBTQ+.»

«Pour fierce, par contre, je n’ai pas trouvé de traduction exacte. Après de longues recherches, je me suis arrêté.e sur quelques termes différents: magnifique, ardente, féroce, etc., et j’ai utilisé différents termes selon le contexte.»

Enfin, on a lu que ton travail est «ancré dans une exploration des thèmes de la justice, de l’amour, de la guérison, de la décolonisation, de l’hybridité, du cosmopolitisme et de l’empuissancement individuel et collectif». Parle-nous de ta démarche créative et de ces valeurs qui sont chères pour toi! Et profites-en aussi pour nous parler de tes projets à venir? On est curieux.

«Ma démarche créative est interdisciplinaire, intertextuelle et j’aime dire “inter-texturelle”! Je pense que c’est dans les espaces hybrides qu’on peut énoncer une poétique décoloniale, ce qui a le potentiel de nous offrir de nouvelles structures avec lesquelles repenser le monde et l’avenir.»

«En ce moment, je développe un nouveau projet multimédia qui est une réadaptation de mon recueil ZOM-FAM en une installation immersive audiovisuelle. À travers ce projet, je veux explorer si on peut physiquement s’immerger dans la poésie (dans ce cas-ci, dans une poésie décoloniale).»

«Je présente aussi une nouvelle performance, intitulée Le Morne: sekinn ekrir pann efase, en hommage à la résistance esclavagiste, et qui sera présentée au Musée des Beaux-Arts de Montréal les 6 et 7 novembre 2021!»

Pour lire nos précédents articles «L’entrevue éclair avec» et faire le plein de découvertes, consultez le labibleurbaine.com/nos-series/lentrevue-eclair-avec.

*Cet article a été produit en collaboration avec les Éditions XYZ.

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