ThéâtreL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Clara Bich
Marilyn, nous sommes enchantés de faire ta connaissance, et Claudine, nous sommes ravis de poursuivre la discussion avec toi! Pourriez-vous nous parler succinctement de la mission respective de vos compagnies et de ce qui les a menées à collaborer de près avec le Théâtre Aux Écuries?
M. «Le Théâtre I.N.K. est impliqué au Théâtre Aux Écuries depuis ses débuts, c’est-à-dire 2005. La compagnie que je codirige avec Annie Ranger a participé, avec six autres compagnies (émergentes à l’époque!) à l’idéation du lieu, aux multiples recherches pour lui trouver un emplacement, aux rénovations ainsi qu’à son inauguration officielle en 2011 dans le lieu actuel. L’idée était – et est toujours – d’y rassembler plusieurs compagnies (notamment de la relève) qui ont différents types d’esthétiques théâtrales, dont celle du I.N.K., qui est orientée vers le théâtre de mouvements et d’images.»
C. «Depuis 2006, Anne-Marie Guilmaine et moi créons, au sein de Système Kangourou, des spectacles qui convoquent le réel sur scène en invitant notamment des non-acteur.trice.s à occuper le plateau et à porter leurs propres récits, à interagir avec des matières brutes et un dispositif scénique souvent transformable. Avec nos précieux.ses concepteur.trice.s, nous cherchons à créer des écrins scénographiques et finement travaillés qui puissent soutenir la présence brute des non-acteur.trice.s.»
«L’intérêt vif des codirecteur.trice.s du Théâtre Aux Écuries pour la recherche, leur curiosité pour des formes et processus qui s’inventent en se créant, leur sensibilité artistique et humaine nous ont littéralement attirées! Depuis la création de notre spectacle Non Finito entre leurs murs en 2015, le désir de faire partie du Collectif de codirection artistique nous tenaille!»
Justement, Claudine, on a appris que Système Kangourou a été nommé à la co-direction artistique du Théâtre Aux Écuries avec Les Productions Menuentakuan pour un mandat de sept ans. Félicitations! Ensemble, vous serez donc «membres du Collectif de direction artistique, accompagner[ez] les compagnies en incubation et en codiffusion, en plus d’offrir plusieurs mentorats par saison». Qu’est-ce que cela t’a fait lorsque tu as appris la nouvelle, et comment entrevois-tu ces prochaines années de création et de partage artistiques au sein de cette institution?
C. «Je me sens profondément honorée (et fébrile!) de cette nomination. C’est galvanisant de penser que pour les sept prochaines années, Système Kangourou se déploiera dans un lieu aussi magnifique et entouré d’une communauté d’artistes dynamiques, généreux.euses et bienveillant.e.s. Ça donne des ailes. Et en même temps, ça ancre fort le désir et l’élan. Tout en laissant aux envies et aux intuitions une place pour mûrir.»
«Avec cette nomination vient la possibilité de nous rapprocher d’une génération d’artistes brillant.e.s tout juste sorti.e.s des écoles. De quoi sont faits leurs imaginaires? Qu’est-ce qui meut la relève aujourd’hui? J’ai très envie de ces nouveaux échanges.»
Pour sa saison 2021-2022, le Théâtre Aux Écuries a notamment annoncé le spectacle 100 secondes avant minuit qui parle de la fin du monde, de l’inertie et du sentiment d’impuissance devant les effondrements qui nous guettent, ou encore Mononk Jules, qui est l’un des plus grands héros autochtones du XXe siècle «que la mémoire collective s’est “alzhamé”». Pourriez-vous chacune nous parler brièvement du regard que vous portez sur cette programmation, ainsi que sur les thématiques qui vont être abordées au sein des créations présentées?
C. «La programmation 2021-2022 du Théâtre Aux Écuries est faite de propositions audacieuses et engagées. Je me réjouis de constater qu’elle rassemble des créateur.trice.s de différentes générations, et qu’elle ratisse aussi large sur le plan formel en conviant le public tantôt à du mime contemporain et à du théâtre d’objets, tantôt à des formes plus performatives, certaines flirtant avec le théâtre documentaire… L’éclectisme de la programmation me parait assez unique dans le paysage montréalais.»
M. «Bien que chacun des spectacles de la programmation ait un thème bien à lui, il y a tout de même un élément qui les rallie tous: leur ancrage dans l’actualité et/ou dans le réel, même si ce réel se passe parfois… dans le futur. Pour la grande majorité des créations programmées, on remarque aussi un lien très intime des artistes avec les thèmes explorés; soit parce que ces thèmes touchent à des valeurs, convictions ou mêmes angoisses profondes, soit parce que les spectacles mettent en scène une grande part d’historique familial ou explorent une discipline théâtrale nichée maîtrisée par l’artiste, et dont il a lui-même constaté les préjugés qui y sont rattachés.»
Cette saison marque également les 10 ans du Théâtre Aux Écuries établi au 7285, rue Chabot à Montréal, et un grand party sera organisé en février 2022 pour célébrer cet anniversaire! Selon vous, comment ce centre de création et lieu de diffusion artistique a réussi à se faire une place de choix dans le paysage culturel québécois?
C. «Pour moi, le Théâtre Aux Écuries se démarque par sa posture d’accueil et d’ouverture envers des créateur.trice.s qui osent creuser une idée, aller au bout d’une intuition forte, sans nécessairement qu’une notoriété préalable les porte. Véritable incubateur de projets en gestation, il n’a pas peur du risque ni du fragile. La flexibilité et l’adaptabilité de son accueil en font un lieu unique. Outre ce qui concerne l’artistique (spectacles programmés, accueils-éclair et accueils de luxe menant à une diffusion), il y a aussi tout ce qui l’entoure (administration, comptabilité, communications, etc.) et soutient le travail des artistes. Les Écuries, c’est aussi une oreille tendue vers la relève.»
M. «Ce qui était à la base de la création de ce théâtre et qui est encore son point d’ancrage aujourd’hui, c’est sa volonté de créer en son sein une communauté forte rassemblant des artistes et des spectateur.trice.s. Et qui dit communauté au théâtre, dit aussi vivre ce théâtre dans un esprit de collaboration et de collectivité. Ainsi, bien au-delà de la mise en commun de ressources matérielle et humaine qu’il crée, il est aussi une maison pour chacun.e.»
Du côté du Centre de création, on a d’ailleurs appris que des activités destinées à la communauté artistique – telles que des rencontres sectorielles, des camps d’entraînement ou des formations – seront maintenues cette année. En quoi ces rendez-vous peuvent jouer un rôle déterminant dans le parcours et la carrière des acteurs de l’industrie artistique au Québec?
C. «Même si, par essence, le théâtre est un art qui appelle au rassemblement, les artistes qui le font se retrouvent souvent à créer seul.e, et aussi à trembler et à douter chacun.e de son côté. Les rencontres et les activités proposées par le Théâtre Aux Écuries invitent à briser cette solitude en favorisant l’échange et le partage. Ces rendez-vous sont aussi une manière de prendre le pouls d’une collectivité hétérogène d’artistes qui vivent différentes réalités (finissant.e.s des écoles, artistes en mi-carrière, compagnies émergentes, etc.) et de stimuler la réflexion et le sentiment d’appartenance à une communauté.»
M. «Le milieu du théâtre et le travail de l’artiste étant en constante évolution, il est primordial pour le Théâtre Aux Écuries d’offrir des formations qui “montrent la voie d’autres chemins créatifs” ou encore qui permettent carrément d’être plus efficaces dans la gestion d’une compagnie ou d’une carrière individuelle. Nous croyons que le partage d’expertise artistique, organisationnelle et administrative permet non seulement aux générations et esthétiques de se “contaminer” pour créer de nouvelles formes, mais aussi de préparer les plus jeunes à construire des organisations fortes et pérennes.»