LittératureDans la peau de
Crédit photo : Julie Artacho
Ève, en plus d’être illustratrice, tu es auteure et réviseure linguistique et éditoriale! On est curieux de savoir: d’où t’est venue la passion pour la littérature et le bel agencement des mots?
«J’étais une enfant très timide et casanière (je dois avouer que je le suis toujours en tant qu’adulte!) Quand j’ai appris à lire, c’est comme si un immense pan de l’univers s’ouvrait tout à coup devant moi. Je pouvais soudain vivre des tonnes d’aventures sans avoir à sortir de mon petit cocon. Et plus les mots étaient joliment ordonnés, plus le voyage me paraissait magique.»
«En vieillissant, j’ai ressenti de plus en plus fort le désir de participer activement à la création de ces mondes, et j’ai commencé à écrire. Ensuite, c’est comme si je ne pouvais plus m’arrêter, comme si j’avais besoin d’en découvrir toujours plus sur la littérature, les mots, les images, les livres… d’où les nombreux chapeaux que je porte aujourd’hui!»
Outre l’écriture et le dessin, tu aimes «la broderie, les animaux, l’hiver, les tricots douillets et siroter une bonne tasse de thé fumant en regardant par la fenêtre». Est-ce que ton inspiration d’artiste est nourrie par ces choses-là et, si oui, de quelle façon?
«Oh oui, assurément! J’ai tendance à mettre en scène des personnages qui vivent des choses très intenses, parfois même violentes ou cruelles. J’essaie de faire contrepoids à cela en ajoutant de la douceur ici et là, soit par la poésie des mots, soit par l’intermédiaire d’une description délicate, ou plus concrètement en transposant mes intérêts (par exemple, pour la broderie ou les animaux) dans le récit.»
«J’aime me sentir enveloppée par une atmosphère, et c’est un aspect que je peaufine beaucoup dans mes textes. L’hiver est un motif qui revient dans presque tous mes livres. La nordicité me fascine. Elle me permet par moments de planter un décor froid et dur, d’autres fois pur et éthéré. J’adore me tenir en équilibre sur la frontière entre le cruel et le doux.»
Ce 25 août, le livre Papier bulle que tu as co-créé avec Simon Boulerice – lui, comme auteur, et toi, comme illustratrice – est paru aux Éditions XYZ. Dans cet album jeunesse, on suit Hortense, une adolescente «karatéka-ninja-hémophile». Comment en êtes-vous venus à créer ce personnage, ses traits de caractère et son histoire? On aimerait aussi savoir comment s’est passée cette collaboration artistique!
«En vérité, seul Simon a créé le personnage, inspiré d’une de ses amies du primaire qui était hémophile. Mais, d’une certaine façon, mes dessins sont aussi à l’origine du projet. Simon et moi nous sommes retrouvés par hasard au même moment à Chicago, et nous avons décidé d’aller visiter ensemble le Art Institute. C’est là qu’il a découvert mes carnets de croquis, que je traîne toujours avec moi pour y dessiner mes impressions.»
«Il a paru fasciné par l’effet de bleeding propre aux feutres à l’alcool que j’utilise (phénomène par lequel l’encre traverse le papier et crée au verso une version fantomatique du dessin apparaissant au recto) Le bleeding, l’hémophilie: les deux idées s’imbriquaient à merveille. Simon a donc écrit son histoire en ayant en tête ces feutres qui “saignent”. Ils nous ont permis de montrer un côté caché, intime du personnage d’Hortense, comme elle-même avec les taches de sang qu’elle laisse dans son sillage.»
Et dis-nous, en quoi penses-tu que l’histoire d’Hortense peut résonner chez les jeunes lecteurs qui la liront?
«D’après moi, Hortense saura charmer autant les jeunes que les adultes. C’est une fille fonceuse qui veut croquer dans la vie, mais qui est freinée dans son élan par son entourage surprotecteur. Elle n’a le droit que de dessiner, car ainsi elle ne risque pas de se blesser. Elle se représente en karatéka et en ninja, pour vivre à travers ses dessins ce qui la fait vibrer… jusqu’à ce qu’elle sorte de sa bulle pour vrai!»
«Le livre parle d’hémophilie, mais je crois qu’il s’adresse d’abord et avant tout à tous ceux qui sont empêchés de vivre la vie dont ils rêvent à cause de leur différence. Pour Hortense, malgré le risque, malgré la peur, aller au bout de soi-même en vaut la peine.»
As-tu de prochains projets d’écriture ou d’illustration en tête, en solo ou en collaboration avec d’autres artistes? On a bien le goût de savoir sur quoi tu planches ces temps-ci!
«Oh, je planche sur des tonnes de choses! Je prépare une exposition en collaboration avec mon mari, qui aura lieu du 8 au 12 septembre à la Galerie du Viaduc, si les mesures sanitaires le permettent (on croise les doigts!) Je participe aussi au volet “Ceci n’est pas une pub” du festival Québec en toutes lettres, qui aura lieu cet automne, et où mes dessins viendront égayer les magnifiques poèmes de Guy Marchamps.»
«On m’a aussi confié la couverture du numéro de la rentrée du magazine Les libraires. J’ai eu un plaisir fou à sortir mes aquarelles pour l’occasion. Finalement, le 28 septembre paraîtra chez Québec Amérique le premier tome d’une série de deux, intitulée L’hiver écarlate (mon obsession pour la nordicité frappe encore!) Il s’agit d’une dystopie sur la fascination malsaine des gens pour la souffrance d’autrui. Hiver cruel et flocons mélancoliques au menu!»