LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Kabir Dhanji
Stéphanie, tu es autrice, traductrice et animatrice d’ateliers d’écriture dans des lycées – en plus d’avoir exercé le métier de journaliste pendant 15 ans! On est curieux de savoir: d’où t’est venue la passion pour l’écriture et le bel agencement des mots?
«Mes parents lisaient beaucoup. Il y avait des milliers de livres chez nous. Enfant, je passais des heures à lire dans ma chambre toutes sortes d’écrivains auxquels je ne comprenais rien, car j’étais trop jeune: je pense à Proust, Dostoïevski, Colette ou Duras, que j’ai relus une fois adulte et que j’ai mieux compris.»
«Sans lire, il me semble difficile d’écrire. Je me suis intéressée ensuite aux écrivains africains. Mariama Bâ, Amadou Hampâté Bâ, bien sûr, mais aussi Mongo Beti, Ahmadou Kourouma, et tant d’autres. Dès l’âge de 10-11 ans, j’ai commencé à écrire au crayon à papier dans des cahiers à petits carreaux. Adulte, j’ai continué à écrire, mais plutôt pour moi. Ça restait dans les tiroirs. Je me suis lancée dans la fiction assez tardivement, la trentaine passée. Il y a d’abord eu une nouvelle, Les murs, puis un roman, Lignes de fuite.»
«Aujourd’hui, l’écriture est le seul espace (oui, c’est un espace mental et physique dans lequel il faut s’installer, ça prend du temps, il faut taire les “bruits” de la vie quotidienne et ce n’est pas toujours facile) où je me sens pleinement vivante, pleinement en accord avec moi-même. L’écriture donne de l’épaisseur à ma vie.»
Outre les livres que tu as mentionnés, tu as récemment publié un témoignage intitulé Jour Zéro: Un matin, elle décide d’arrêter de boire aux Éditions de l’Homme. Tu sembles donc être ouverte à des genres littéraires très variés! Qu’est-ce qui explique tes goûts éclectiques en termes de littérature, selon toi?
«Je ne me pose pas la question du genre avant d’écrire. Je n’aime pas trop les catégories en général. D’ailleurs, Jour Zéro a atterri dans plein de catégories différentes chez les libraires, c’était assez marrant de voir ça. Personne n’arrivait à le classer. C’est une matière et un ton qui dictent le résultat.»
«Pour Lignes de fuite, j’avais voyagé le long de la ligne de chemin de fer entre Djibouti et Addis-Abeba, et les gens que j’ai rencontrés, les paysages, m’ont donné envie de creuser l’histoire coloniale. Raconter comment le déni du passé au niveau d’une famille faisait écho au déni collectif de l’histoire coloniale en France.»
«Avec Jour Zéro, c’était plus un voyage intérieur. Le matériau, c’était moi, et cela a rendu l’écriture plus douloureuse. On a peur de blesser sa famille, ses amis. On se demande si les souvenirs racontés sont fidèles à ce qui s’est passé. J’ai suivi cette règle: si quelqu’un doit être tourné en ridicule dans ce livre, ce sera toi et personne d’autre. Et c’est un guide efficace qui permet de ne pas se prendre au sérieux.»»
«Il y a forcément de la fiction dans un récit de soi. Le propre de la mémoire est de reconstruire le passé en permanence à l’aune du présent. Il y a eu un gros travail sur la construction narrative, sur le rythme, le style; et l’éditrice, Charlotte Rotman, m’a beaucoup aidée dans ce parcours. J’ai dû remanier le texte à de nombreuses reprises. Ce que je voulais à tout prix, c’était éviter le pathos et insérer de l’humour et de la distance.»
Dans cette récente parution, tu abordes la prise de conscience de ton alcoolisme et les pistes que tu as alors explorées pour essayer de t’en sortir, par exemple en t’intéressant et en ayant recours aux neurosciences. Que retiens-tu de cette expérience de vie et de tout le parcours que tu as effectué pour essayer de te déprendre de cette dépendance?
«L’alcoolisme est une maladie. Je n’étais pas malade. J’avais tendance à boire avec excès comme des millions de personnes, mais sans avoir besoin de boire régulièrement. Je pouvais passer plusieurs semaines sans boire. Ce qui m’a poussé à écrire ce texte, c’est qu’on parle rarement de cette “zone grise” des consommateurs qui ont tendance à boire un peu trop, mais sans pour autant perdre leur boulot, leur maison, leur chien, leur raison de vivre.»
«Je me suis demandé pourquoi cette substance était présente partout, dans nos relations sociales, familiales, dans les films, la pub. Pourquoi celui ou celle qui ne boit pas est vu.e comme quelqu’un d’anormal? Quand j’ai arrêté de boire, je n’ai trouvé sur la question de l’alcool que des récits tragiques qui m’ont rebutée, ils étaient écrits par des gens qui avaient touché le fond. Je ne me reconnaissais pas du tout là-dedans. Je voulais écrire le contraire de ça en fait. En fait, Jour Zéro répond à une simple question: pourquoi boit-on de l’alcool?»
En plus de revenir sur ta propre histoire, tu en profites pour aborder la façon dont l’alcool «influe sur le rapport au corps, à l’image et à la sexualité». À quel moment et dans quel contexte as-tu réussi à prendre un certain recul par rapport à ces aspects qui allaient de pair avec la dépendance?
«Cela s’est fait de manière graduelle. En ne buvant pas dans les soirées, on se rend compte que sa libido est beaucoup plus apaisée. Le fait de ne plus avoir cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, soit “j’espère ne pas me réveiller demain aux côtés de quelqu’un dont j’ai oublié le prénom”, ça rassure sur soi-même, on reprend confiance en soi.»
«Sans boire, je n’ai plus envie de séduire à tout prix, je suis bien avec moi-même. L’alcool est un moyen pour beaucoup de femmes de réconcilier des injonctions contradictoires: sois belle, mince, exprime ce que tu penses, mais pas trop fort quand même; construis une brillante carrière, mais fais des enfants, six machines à laver par semaine; sois une bonne compagne, une bête de sexe, reste séduisante et au top de ta forme, sans faire attention à ta ligne parce que les gens qui font des régimes sont ennuyeux, etc.»
Quels sont tes prochains projets pour l’année en cours? On aimerait beaucoup savoir si tu comptes te lancer dans l’écriture d’un nouvel ouvrage et, si oui, quels seraient le thème et la forme que tu aimerais lui donner!
«Un roman, qui se passe dans la Corne de l’Afrique. Ça parle de guerre, de relations familiales, de mémoire niée (en gros, on y retrouve la plupart de mes obsessions).»