ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Josué Bertolino
Il faut le dire, la version originale de Comment épouser un milliardaire a connu un véritable succès en France. L’autrice et comédienne Audrey Vernon, avec sa facture 100% française, conviait le public à son enterrement de vie de jeune fille, où elle se permettait le risque audacieux d’un spectacle en formule one-woman-show.
Face à ce succès, le concept a traversé les frontières pour être adapté notamment en Italie et en Corée, et voilà que c’est maintenant au tour du Québec d’avoir sa propre adaptation, grâce au tandem Michelle Parent et Véronique Pascal, qu’on a eu la chance d’interviewer la semaine dernière, qui signent ici l’adaptation pour le public québécois.
Par adaptation, bien sûr, je veux dire que les expressions françaises ont été changées, de même que certains extraits, dans le but précis de citer «nos propres milliardaires». Comme le mentionne Michelle Parent, d’ailleurs, nous en avons douze des milliardaires au Québec, dont Emanuele (Lino) Saputo, Alain Bouchard, cofondateur de la chaîne d’Alimentation Couche-Tard, et… Jean Coutu.
Dans sa mouture française, Audrey Vernon mentionne au passage notre célèbre cracheur de feu Guy Laliberté, se permettant même quelques vannes à son endroit. On se rappellera son escapade sur la Lune (rêve déluré que PERSONNE ne peut se permettre sur cette planète!) Le coût de ce voyage, évalué à 41,8 millions $, avait été remboursé par une compagnie affiliée au Cirque du Soleil.
Que ferait-on pour éviter de payer des impôts, n’est-ce pas?
L’humour pour faire passer la pilule du capitalisme
Comment épouser un milliardaire relate avec humour et ironie les écarts entre les riches et les pauvres. Que ce soit la manière dont ces milliardaires ont bâti leurs fortunes, ou bien la vitesse à laquelle ils dilapident leur cash sur des yachts luxueux à outrance. On ressent bien cette perversion de la richesse!
Les riches se nourrissent des pauvres, comme dans une chaîne alimentaire où les plus petits se font manger par les plus gros.
En incarnant la future épouse milliardaire, Michelle Parent tire à couvert sur le capitalisme. Elle lance des fleurs aux riches d’un côté en vantant (avec sarcasme) leurs âmes charitables de philanthropes, mais les ramasse de l’autre en faisant la démonstration de leur absurdité et de leur hypocrisie.
D’ailleurs, son numéro sur Nike et Colin Kaepernick, le joueur de football célèbre pour avoir posé le genou à terre, en 2016, lors de l’hymne national, est un exemple probant de cet exercice réussi. La compagnie Nike avait tiré profit du geste symbolique du footballeur, y allant de ce slogan: “Croyez en quelque chose. Même si cela signifie tout sacrifier”.
Michelle Parent démontre ici la réalité mensongère de cette multinationale. À travers le récit d’une jeune fille rêveuse et fonceuse qui est vouée à un bien triste dessein, elle illustre en fait toute l’ironie cachée entre le message d’espoir profané par Nike et les conditions de travail exécrables auxquelles l’entreprise soumet ses employés.
On le sait, la marque a été blâmée à maintes reprises pour l’exploitation d’enfants, pour les salaires de misère, et également pour les semaines de travail de soixante heures…
Un propos gagnant, une forme qui l’est (un peu) moins
Le one-woman-show commence sur une musique pop forte et entraînante. Ça promet! Les projecteurs latéraux se braquent sur l’actrice, telle une conférencière de Ted Talk qui vient de faire son entrée en scène devant une salle comble. Des ampoules offrent un éclairage chaud et enveloppant. Un sofa de style méridien vintage, un tapis duveteux et une bouteille de champagne, meublent l’espace.
Toutefois, cette promesse de grandiose, de rythme et de punch tombe à plat après à peine trente minutes. On se demande où nous mènera cette longue énumération de milliardaires étrangers. On navigue ainsi entre le stand-up comic et le théâtre.
D’ailleurs, le texte intégral prend bien soin de nous rappeler que la comédienne n’est pas une humoriste. Cette dernière nous confie que son point faible, ce sont les blagues, et qu’elle manque de répartie. Durant le spectacle, elle nous explique même le concept de running gag, martelant deux exemples au passage. Le malaise est palpable, car l’évidence de la définition et la redondance des mêmes blagues font en sorte qu’on se lasse vite des tentatives de faire rire qui se cognent parfois à un mur.
Définitivement, les passages «joués» sont nettement plus intéressants, à mon humble avis, que la livraison de gags sarcastiques.
La mise en scène reprend toutefois son souffle lorsqu’on sort du modèle typiquement stand-up, avec ses blagues et ses rires. Par exemple, l’usage de projections et de photos de milliardaires brise la monotonie et une certaine redondance dans le concept de name-dropping.
En somme, bien que la réflexion critique soit vraiment intéressante et que les créatrices aient voulu aborder les inégalités sociales en se rangeant du côté des milliardaires, plutôt que les «prendre» de manière frontale, les 75 minutes m’ont donné l’impression d’étirer le sujet.
Se démener devant le «vide»
L’interprétation de Michelle Parent est relativement calquée sur sa prédécesseure, c’est-à-dire, mêmes mimiques et même façon de s’adresser au public. Elle adopte une naïveté similaire pour mieux juger et mieux nous faire relever l’absurdité du capitalisme.
À la manière d’une humoriste, la comédienne doit capter l’attention et ainsi maintenir les rires, et ce, devant une salle à moitié vide en raison des restrictions sanitaires. Les conditions ne sont pas optimales, mais l’interprète réussit néanmoins à offrir une prestation sans temps morts, ne quittant jamais son rôle de femme joviale, naïve mais cinglante.
Si je n’ai pas été totalement convaincue par la forme de ce spectacle, je suis tout de même intriguée par le cycle de création de trois spectacles que Michelle Parent prépare actuellement. Comment épouser un milliardaire est le premier de cette trilogie sur le rapport à l’effondrement du vivant qui sera présenté très prochainement au Théâtre Aux Écuries.
Il ne reste plus qu’à espérer que la suite sera tout aussi caustique et peut-être même plus frontale, parce que le sarcasme, ça aide à faire passer un message, mais ça manque de boulets de canon.
«Comment épouser un milliardaire» en images
Par Josué Bertolino
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