ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Marc-Antoine Moreau
Anne-Sara, tu as obtenu ton diplôme en scénographie à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM en 2013 et, depuis, tu fais ta marque dans le domaine théâtral québécois. On aimerait que tu nous racontes comment tu as eu l’appel pour le théâtre. Comment est-il arrivé dans ta vie?
«Je ne sais pas si c’est le théâtre qui m’a appelé ou plutôt les arts en général. Très jeune, j’ai commencé à faire du théâtre en parascolaire. Puis, dès le secondaire, je ne voulais pas seulement jouer dans les pièces de théâtre de l’école; je voulais faire les costumes, fabriquer le décor, bref, je voulais être sur tous les fronts!»
«J’ai également suivi des cours d’arts plastiques durant lesquels on travaillait autant la peinture que la sculpture. À l’adolescence, j’ai appris la couture, parce que je rêvais de confectionner l’entièreté de ma garde-robe moi-même.»
«J’ai aussi longtemps pratiqué la danse, une discipline physique et sensible qui a évidemment influencé mes champs d’intérêt professionnels. Finalement, ce n’est pas le théâtre, mais plutôt les arts de la scène qui m’ont appelée!»
En 2013, tu as fondé, avec deux autres conceptrices, la compagnie Les productions Alfred avait raison, qui n’existe plus aujourd’hui. Peux-tu nous parler un peu de ce projet d’explorations et de ce qu’il t’a apporté concrètement pour ta carrière? On est curieux!
«À la sortie de l’école, nous avions envie d’entreprendre nos propres projets, de réaliser des spectacles, et d’explorer certains aspects particuliers de notre pratique. Nous étions toutes intéressées par des projets atypiques pour lesquels les lieux de représentation faisaient partie intégrante du spectacle.»
«La facture esthétique du spectacle, soit la scénographie, la lumière, les costumes et le son, avait autant d’importance que le texte dans les propositions que nous mettions de l’avant. La compagnie nous a permis de présenter quelques projets et même d’en exporter un en France! Faire de la tournée avec des projets in situ, c’est toujours un défi très stimulant! Un nouveau lieu demande toujours de repenser l’œuvre en fonction de celui-ci.»
«Aujourd’hui, comme vous le mentionnez, la compagnie n’existe plus, mais elle m’a permis d’identifier des axes forts de ma pratique personnelle, en plus de rencontrer d’autres collaborateurs avec qui j’œuvre encore aujourd’hui.»
Tu accordes une grande importance à tes réflexions politiques et à ton désir de changer le monde, et c’est pourquoi tu abolis les frontières pour bâtir de nouveaux territoires collectifs. Comment ces recherches en réappropriation de l’espace influencent-elles ton travail en scénographie et en conception lumière, et par quoi te laisses-tu inspirer pour ton travail?
«Mes réflexions en tant que scénographe m’amène au-delà des questions esthétiques, voire dramaturgiques. La création me permet de repenser le monde dans lequel on vit. Les lieux que l’on habite, que l’on traverse, et par lesquels on transige, sont autant d’espaces issus d’un contexte sociopolitique qui influent sur notre façon de percevoir le monde. L’espace que l’on habite détermine notre façon de concevoir et de comprendre notre environnement.»
«La scène me permet de repenser notre rapport à la société et je l’espère d’influer sur notre façon de la percevoir et de la modeler.»
Récemment, tu as travaillé avec La Chapelle Scènes Contemporaines, MONTRÉAL COMPLÈTEMENT CIRQUE et le Festival TransAmériques. À quoi ressemble une journée typique, pour toi, en tant que conceptrice lumière et scénographe? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien!
«Comme beaucoup de créateurs, les jours se suivent, mais ne ressemblent pas. Je suis une touche-à-tout et, en plus de la scénographie et de la conception d’éclairage, je fais de la direction technique, de l’assistance à la mise en scène, j’enseigne aussi… Mes journées sont donc très différentes les unes des autres.»
«Donner un cours, participer à des réunions avec des équipes de production, acheter des matériaux, récupérer des échantillons, faire un peu de lecture, répondre à des courriels, faire des plans, entreprendre un projet de couture, faire de la construction, voilà autant d’activités qui peuvent s’enchaîner dans une même journée.»
«En ce moment, la période est particulière pour notre métier. Le contexte nous fixe (trop) devant l’écran: les réunions en vidéoconférence s’enchaînent. Toutefois, même si le public ne peut pas être au rendez-vous (ça dépend des restrictions sanitaires en fait!), c’est une période riche en résidences et en gestation de projets. Les cerveaux créateurs bouillonnent, et on a hâte aux rencontres nouvelles qui auront lieu dans le monde d’après.»
Peux-tu nous parler des défis que tu as eu à relever dans le cadre de ta profession, que ce soit pour une production en particulier ou pour un évènement qui te vient en tête?
«En création, il y a toujours des défis, mais les décisions se prennent en équipe et le résultat est toujours le fruit de choix qui ont été faits collectivement. Ce sont donc des défis qui n’en sont pas, puisqu’au final, ils font toujours partie intégrante du processus.»
«Pour ma part, les plus grands défis que je rencontre sont souvent dans le cadre du Festival TransAmériques! Je fais partie de l’équipe de direction technique depuis plusieurs années. J’ai vu des dizaines de projets très variés par leur ampleur, leur forme, leur contenu, leurs implications techniques avec, chaque fois, leur lot de défis à surmonter, et ce, dans un délai toujours très court.»
«À mon sens, le défi principal est celui d’accueillir des compagnies d’ici ou de l’étranger et d’arriver à saisir l’essence du spectacle pour qu’il puisse se réaliser dans les meilleures conditions possibles. Comme vous pouvez vous l’imaginer, réaliser un projet lorsque la langue est une barrière, lorsque l’équipe ne connait pas la salle de spectacle, lorsqu’on ne se connait pas, tout simplement, ce n’est pas toujours évident.»
«Ma plus grande victoire est celle de constater que les équipes des spectacles que j’accueille ont une grande confiance en moi et en ce que je leur conseille, même si on s’est rencontré il y a à peine quelques heures.»
«Bref, gagner leur confiance, c’est ça ma plus grande réussite.»
«Mon poste au FTA m’a permis de rencontrer nombre de créateurs de la scène et surtout de développer une grande écoute. Ils sont des inspirations pour mes projets en tant que conceptrice, et ils m’ont permis de m’outiller pour devenir une alliée pour les créateurs avec qui je collabore.»
Est-ce qu’il y a une ou quelques autres productions sur lesquelles tu as travaillé et dont tu es particulièrement fière, ou qui t’ont particulièrement marqué?
«Je pense que ce ne sont pas tant des productions, mais des collaborations qui ont vraiment marqué mon parcours.»
«Je collabore depuis ma sortie de l’école avec Alex Trahan. C’est un créateur avec qui j’aime concevoir des spectacles in situ. Les projets qu’ils proposent me permettent de véritables mises en espace alliant lieux de représentation, scénographie et conception d’éclairage. Ce sont toujours des projets très stimulants.»
«Je travaille également de façon récurrente avec Patrick R. Lacharité. Il m’engage principalement comme scénographe, et ces projets me permettent de faire des propositions plus éclatées. C’est donc toujours un plaisir de collaborer à ses spectacles.»
«Finalement, une rencontre significative dans ma démarche, mais plus récente, est celle de Morena Prats. J’ai eu la chance de concevoir les éclairages sur son projet de maîtrise Atlas. C’est l’un de mes projets en tant que conceptrice lumière qui est le plus achevé et pour lequel j’ai été vraiment satisfaite. Son travail des corps dans l’espace, entre théâtre et danse, crée de véritables tableaux vivants qui sont des terrains de jeu foisonnant.»
«J’en profite donc pour leur dire merci.»
Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme artiste, selon toi, et qui fait que ta signature visuelle est reconnaissable à travers tes œuvres?
«Je pense qu’il est difficile de poser un regard aussi distant et analytique sur son propre travail. Pour ce qui est de la lumière, je m’intéresse beaucoup au mouvement de celle-ci, à la fois naturelle et transposée; une sorte de cousinage avec le réalisme magique.»
«Récemment, une amie m’a déjà dit apprécier le fait que mes propositions scénographiques soient franches tout en étant poétiques. Ce sont des propositions qui laissent bien sûr une grande place au dialogue avec la lumière, puisque c’est aussi un médium que je pratique.»
Et dans quel(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«Je fais partie depuis quelques mois du collectif Isochrone. Restez donc à l’affût, nous avons beaucoup de projets en préparation!»
«Aussi, je ne peux pas en dire trop, mais j’ai un projet extérieur qui se prépare pour l’été 2021. J’ai bon espoir que ça aura lieu, alors on travaille fort à préparer quelque chose de grandiose. Toutefois, en ce moment, mon occupation principale est le Festival TransAmériques, qui arrive à grands pas!»
«Mes autres projets sont sous le couvert du secret professionnel!»
Pour lire nos précédentes chroniques «Dans l’envers du décor», c’est par ici!
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