«Sex and the City», 20 ans plus tard – Bible urbaine

Cinéma

«Sex and the City», 20 ans plus tard

«Sex and the City», 20 ans plus tard

Un héritage mitigé?

Publié le 5 mars 2021 par Vincent Gauthier

Crédit photo : Tous droits réservés @ HBO

L’émission Sex and the City a débuté sur les ondes de HBO il y a 23 ans en juin 1998. Après 94 épisodes, six saisons et deux films discutables, la série télé, créée par Darren Star, a réussi à se tailler une place au Panthéon des séries cultes. Même encore aujourd’hui, l’œuvre est continuellement revisitée et débattue sur la place publique. Fascination, admiration, révolution, critiques, controverses... on dirait que tout le monde a son mot à dire sur ce projet, et ce, même après deux décennies!

Basée sur le livre de Candace Bushell, la série met sous les projecteurs Carrie (Sarah Jessica Parker), Charlotte (Kristin Davis), Miranda (Cynthia Nixon) et Samantha (Kim Cattrall), quatre femmes dans la trentaine qui vivent leur vie personnelle et professionnelle à New York. Ensemble, elles parlent ouvertement de leurs expériences amoureuses et sexuelles, sans tabou ni censure.

Sans plus tarder, voyons ensemble comment Sex and the City a su marquer l’imaginaire collectif.  Analysons ce qui était à la fois extraordinaire et innovant, et j’en profiterai pour évoquer les quelques éléments qui ont mal vieilli et qui s’avèrent gênants, voire «malaisants», des années plus tard!

Les années 90 sont de retour… encore!

La mode est un phénomène cyclique. Les tendances vont et s’en vont comme les saisons. Ce qui est fascinant, c’est qu’en ce moment, le paysage semble en parfaite symbiose avec celui de Sex and the City, puisque nos tenues vestimentaires sont largement inspirées des années 90!

Et bien sûr, la mode fait partie intégrante de Sex and the City, avec ces femmes qui ont un penchant prononcé pour les créations des designers réputés et pour les pièces vintages achetées en thrift shop. De plus, les vêtements agissent comme des extensions aux personnages et ils servent à mieux définir leurs identités respectives.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette série a eu un impact durable sur l’industrie de la mode, car elle a su créer des tendances et des moments d’anthologie avec ces quatre héroïnes toujours stylées à la perfection.

Sex and the City a même su s’adapter à l’ère numérique avec une page Instagram intitulée everyoutfitonsatc. Créé par deux fans, ce compte retrace chaque tenue et/ou accessoire porté.e.s par les personnages, dans le seul et unique but d’y analyser l’impact et les inspirations propres à chacun des styles. Il est même arrivé que les actrices commentent certaines publications pour procéder à quelques remises en contexte!

Avec près d’un million d’abonnés, on peut dire que la mode de Sex and the City a su traverser les époques avec brio.

 
 
 
 
 
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Des dialogues qui ont mal vieilli

À plusieurs reprises au cours de l’émission, nous pouvons assister à différents débats entre les quatre femmes, lesquelles argumentent sur des sujets toujours d’actualité tels que la bisexualité, la transsexualité, le sexe anal, les threesomes… et j’en passe!

Certains aspects ont même été abordés de façon exemplaire. Avec un humour toujours tordant et une perspective inédite pour l’époque, la vie sexuelle était perçue comme une partie intégrante d’une relation et de la personnalité d’un individu, et le sexe était souvent naturel, positif et exprimé sans tabou. Cependant, plusieurs dialogues ont mal vieilli et mettent en avant des points de vue franchement problématiques.

Il y a une véritable myriade d’exemples à décortiquer. Entre autres, je ne sais pas si vous vous souvenez, mais Carrie, à un moment, décide d’arrêter de voir un homme bisexuel (ou fluide), car elle critique la bisexualité comme étant «a layover on the way to Gay Town». Samantha utilise souvent du jargon offensif en parlant avec un accent lorsqu’elle fréquente une personne de couleur, ou encore en utilisant des insultes transphobes pour décrire son nouveau quartier, comme étant «trendy by day and tranny by night

En réponse à ces quelques faux pas, il y a une série de meme vraiment ingénieuse qui circule sur internet et qui s’intitule #WokeCharlotte, où le personnage de Charlotte reprend certains discours problématiques de la série en expliquant le manque de jugement et de sensibilité de certains dialogues.

En mettant en évidence les passages racistes, hétérosexistes et classistes de l’émission, ces memes sont un bon rappel du chemin parcouru depuis sa création en 1998, et ils nous forcent à réfléchir sur une série télé qui, malgré ses nombreuses qualités, n’est pas pour autant exempte de défauts.

Un manque de diversité flagrant

Étrangement, pour une émission se déroulant dans l’une des villes les plus diversifiées au monde, il n’y a pratiquement aucun personnage qui n’est pas blanc. Et lorsque, finalement, il y a une personne provenant de la diversité culturelle, elle est malheureusement trop souvent stéréotypée.

Il suffit de penser à l’épisode où Samantha fréquente une personne noire, mais dont la relation a été compliquée par la sœur de celui-ci, qui refuse que son frère fréquente une femme blanche. Celle-ci est montrée comme une femme colérique, agressive et violente, ce qui renforce le mythe de la «angry black woman» encore omniprésent dans les productions télévisuelles actuelles.

Ce manque de diversité chez les personnages est palpable à travers la représentation des hommes homosexuels. Ici, ils sont toujours ultraféminins, accros à la mode et à la décoration, et ils sont présents uniquement pour balancer, à la figure des personnages, des remarques cinglantes. Il n’y a malheureusement aucune nuance dans les portraits.

C’est donc vraiment dommage que l’ingéniosité derrière les quatre personnages principaux n’ait pas été transposé chez les personnages secondaires… En même temps, j’ai réalisé à quel point les conversations sur le manque de diversité imprègnent de plus en plus ma façon de consommer la culture en général, et des changements semblent de plus en plus faire leur chemin dans nos productions, fort heureusement.

Je crois aussi qu’il est important de souligner que l’émission raconte l’histoire de femmes new-yorkaises blanches, riches et hétérosexuelles. Elles ne reflètent aucunement l’existence de toutes les femmes.

De plus, étant donné qu’il est très rare de voir une série mettre en scène la vie de femmes, la majorité semble demander «l’impossible» au niveau de la représentation, ce qui souligne un double standard omniprésent et franchement décevant. Comme le souligne judicieusement l’experte en télévision contemporaine Kim Akass dans son livre Reading Sex and the City: «Sex and the City bears the burden of representation. No one expects The Sopranos to encompass the experience of all middle-aged Italian-American men.»

 
 
 
 
 
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Une conception problématique du féminisme?

Avec du recul, certains critiques et fans ont trouvé que la conception du féminisme qui est ici mise en avant est quelque peu problématique. Plusieurs ont souligné, et à juste titre, que les femmes qui composent la série sont, malgré leur vision assez avancée pour l’époque sur le sexe et le mariage, toujours en train de parler de garçons et d’être obsédée par rapport à leurs statuts relationnels.

Comme le fait remarquer Miranda lors d’un épisode: «How does it happen that four such smart women have nothing to talk about but boyfriends?», les arcs narratifs prédominants tournent toujours autour de la recherche de relations entre les personnages. La fin de la série n’aide en rien non plus! Les quatre femmes finissent par être en couple, dont deux qui sont mariées et avec des enfants. Ceci renforce l’idée que le futur des femmes est inévitablement ancré dans le mariage et la procréation, alors que la série a démontré qu’il y avait plusieurs autres avenues possibles…

Cette fin «trahit» donc un peu le discours féministe en ancrant les perceptions que les femmes ont d’elles-mêmes et de leur futur à travers les relations qu’elles entretiennent avec les hommes. Mais en même temps, il est important de se poser les questions suivantes: «Est-ce que le fait de désirer ardemment une relation amoureuse (équitable et saine) trahit véritablement la cause féministe?» «Est-ce qu’une femme peut conserver son indépendance, et ce, même si elle est mariée à un homme?» Je vous laisse y répondre en commentaire sous cet article!

Il est bien important de nuancer ces propos de «faux» féminisme, puisque même si la série met de l’avant des situations problématiques, il y a aussi beaucoup de positif à faire valoir. En effet, les femmes sont le point principal de focalisation, et les personnages masculins demeurent en périphérie. La vie est vue et vécue à travers leurs visions et leurs discours à elles, et non à travers la vision d’un homme qui entrevoit l’expérience féminine.

Le fait que les personnages aient des conversations franches sur le sexe, en abordant le plaisir sexuel à travers un prisme féminin, ainsi que sur l’importance du consentement et de l’agentivité féminine comme des droits fondamentaux, était révolutionnaire pour l’époque.

De plus, la série a accordé énormément de place à plusieurs sujets qui sont toujours d’actualité, comme l’infertilité, le deuil, les défis des mères monoparentales, la discrimination sexuelle, les doubles standards, le divorce, l’âgisme et plusieurs autres, ce qui a créé des discussions importantes sur le féminisme qui persistent encore aujourd’hui.

L’influence indéniable de Sex and the City sur nos séries contemporaines

Je crois qu’il est important de rendre à César ce qui est à César, et ici, je suis prêt à affirmer que le succès de Sex and the City a eu un impact majeur sur les productions cinématographiques et télévisuelles d’aujourd’hui.

En effet, la série a su démontrer de façon claire et précise que les histoires qui concernent les femmes avaient autant de valeur que les autres productions. En raison du succès commercial et artistique de la télésérie (7 Emmy’s, 8 Golden Globes, 10 millions de téléspectateurs ont regardé la finale), les studios et les industries ont été plus enclins à favoriser l’émergence des émissions centrées sur des femmes.

Il est facile de percevoir l’effet de Sex and the City en comptant les multiples productions qui ne comportent que des femmes et qui sont apparues dans les années qui ont suivi. Les séries telles que Girls, Desperate Housewives, Gossip Girl, Younger, Emily in Paris et même Insecure sont, d’une manière plus ou moins directe, redevable au succès monstre de cette série, qui fut un tremplin pour que les histoires de femmes brillent encore pendant longtemps!

Pour terminer, je crois qu’il est important de souligner ce que la série a moins bien exécuté, tout en n’oubliant jamais le contexte de sa production. Car il est important, à mon avis, de ne pas critiquer trop sévèrement une télésérie qui, malgré ses nombreuses failles et approches douteuses, a quand même réussi à faire avancer le discours sur les femmes, notamment en changeant les perceptions sur certains stéréotypes, en plus de faire circuler des discussions intéressantes sur le sexe et les relations.

Comme la journaliste américaine Lorraine Ali le fait remarquer, un avancement pour la cause des femmes devrait toujours être célébré: «Don’t diminish the influence these women from a less politicized TV era still have on the shows we watch. They broke down barriers, even if it was with the swing of an absurdly priced Fendi handbag.»

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