LittératureLa petite anecdote de
Crédit photo : Martine Doyon
La fenêtre
« Ce n’est pas encore le début du printemps, ni la fin de l’hiver. Une nuit, le Loup m’appelle pour prendre une marche sur la piste cyclable. Je n’ai rien à foutre dans mon sous-sol, mais je sais que mes parents m’interdiraient de sortir aussi tard.
Je sors par la fenêtre de ma chambre. Je la laisse légèrement entrouverte en prévision de mon retour. Je rampe sous la fenêtre de la chambre où mes parents dorment. Je me hâte, me précipite vers le trottoir. La rue vide résonne de mes pas. » – Déterrer les os
J’ai grandi sur la rue Grant, à Longueuil, tout près du Cégep Édouard-Montpetit. Durant mes années de cégep, ma chambre se trouvait dans la pièce aux confins du sous-sol chez mes parents. Mes parents n’ont jamais trop aimé que je sorte tard la semaine. Mais je voulais sortir. Beaucoup. J’avais trouvé une solution.
La fenêtre donnant sur la cour était ma porte de sortie. Avant de partir, je m’arrangeais pour placer les coussins sous mes couvertures de manière à former une masse ayant l’allure d’un corps endormi. Je laissais la lumière éteinte et ma fenêtre ouverte d’un centimètre.
La fenêtre par laquelle je sortais à 11 h pour aller rejoindre des ami.e.s au 1957.
Par laquelle j’allais rejoindre une nouvelle date sur la piste cyclable ou au parc.
Par laquelle j’ai fait entrer, une fois, un gars fraîchement rencontré après un party de l’asso étudiante.
Je sortais (et faisait entrer) ainsi incognito, au gré de mes volontés, des rencontres et des invitations.
Je revenais aux petites heures, exaltée par mes escapades secrètes.
Un jour, un gars avec qui je marchais sur le bord du fleuve m’a dit: Te rends-tu compte, s’il t’arrivait quelque chose, personne ne le saurait. Si j’étais un agresseur, si je jetais ton corps à l’eau, il n’y aurait aucune trace derrière toi.
L’effroi est passé dans mon dos comme une main funeste.
À partir de cette nuit-là, je ne suis plus sortie par la fenêtre.
Et j’ai arrêté de sortir avec des inconnus sans prévenir qui que ce soit.
Un soir de novembre, au début de mon université, je participais à l’émission Génial!, enregistrée devant public – je jouais avec MC Gilles, on a perdu et j’étais très déçue de ne pas gagner le iPad. Ma famille et moi avons passé la soirée dans le studio montréalais.
Au retour, la maison était complètement à l’envers. Froide comme jamais.
Je suis descendue dans ma chambre, au fond du sous-sol. La fenêtre avait été complètement éclatée et un vent glacial s’y engouffrait. Des traces de pas boueuses couraient sur mon plancher, autour de mon lit, renversant mes meubles et mes livres au passage.
Il n’y avait rien à voler dans mes affaires sans valeur et rien n’a été volé, sauf cette quiétude qui, jusqu’alors, m’habitait lorsque je me réfugiais dans ma chambre. Comme si soudain ma chambre ne m’appartenait plus.
Le lendemain, mon père installait des barreaux devant la nouvelle vitre. Des barreaux de cellule, j’ai pensé. La fenêtre n’était plus une porte envisageable. Désormais, personne ne pouvait en sortir ni y entrer aisément. J’aurais dû les poser il y a longtemps, a dit mon père, tandis qu’il me montrait comment manœuvrer la clé et le cadenas.
Je me suis demandé s’il savait.