ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : David Ospina
Jean, on aimerait que tu nous racontes comment tu as eu l’appel pour la conception sonore pour le théâtre; comment est-elle arrivée dans ta vie?
«La musique et le théâtre étaient importants dans ma vie d’ado et de jeune adulte, à Thetford. J’ai toujours aimé la technique de scène aussi. J’ai fait un DEC en théâtre, comme acteur, à Sainte-Thérèse. Par la suite, j’ai plutôt travaillé comme technicien et comme assistant au metteur en scène, où mon intérêt combiné pour la technique et le travail en répétition était original et très utile.»
«Plus tard, j’ai rencontré mon ami Richard Bélanger et on a fait une première conception sonore ensemble avec Claude Poissant, en 1994. On a continué ensuite, Richard et moi, avec beaucoup d’enthousiasme, sous le pseudonyme de Larsen Lupin. On a beaucoup travaillé, beaucoup appris. Depuis 2011, mon ami Richard exerce ses nombreux autres talents ailleurs qu’en musique de scène, et moi je travaille en solo.»
En tant que concepteur sonore, est-ce que tu façonnes une proposition seulement à partir du texte de la pièce de théâtre où il s’agit toujours d’un travail d’équipe avec les autres créateurs et le metteur en scène?
«Le texte est central, mais complètement indissociable de l’équipe. Souvent, on commence à en parler un an d’avance et, à ce stade, les possibilités sont vastes. La mise en scène pose les premières questions, et ensuite, les différents regards défrichent peu à peu la forêt des possibles. On a tous une sorte de diapason interne qui vibre plus ou moins selon le fil des explorations, et ces différents enthousiasmes orientent les recherches.»
«Et dans l’équipe de création, j’ajouterais le public, même si son rôle est indirect. La finalité du projet, cette rencontre avec notre monde, est toujours présente.»
Et comment conçois-tu la musique originale et la conception sonore? Raconte-nous un peu ton processus créatif, du commencement d’un projet jusqu’à la mise en scène, et parle-nous aussi de tes inspirations!
«Au départ, décortiquer le texte, bien sûr. Ensuite, des discussions, un café ou une marche avec la personne à la mise en scène. À ce stade, je suis à l’écoute de mes intuitions, tout en me méfiant un peu de moi-même. Ne pas tomber amoureux d’une bonne idée qui ne sert pas le projet en fin de compte ni chercher une idée rapide pour rassurer.
Je cherche le rôle qu’exerce la musique dans ce projet en particulier. Pourquoi, vraiment, mettre du son là-dedans?»
«Souvent, la réponse ne vient pas en mots. J’enregistre une première lecture avec les interprètes, même toute croche, et j’improvise dans mon studio, encore plus tout croche. Je teste des sons, des textures, des impressions et je reste à l’écoute de l’effet que ça fait.»
«Je commence à proposer des choses en répétition en restant aux aguets des effets produits, et je réagis, je rajuste. Impossible d’être sûr que quelque chose va «marcher» ou pas sans l’essayer. Ça se vérifie en 3D, avec tout le monde. Ceci dit, je ne pioche pas au hasard dans le noir en attendant de tomber sur quelque chose qui marche. Je vois mille spectacles, mille films; je m’interroge constamment sur le rôle du son et de la musique. Ce que j’y trouve provoque mille autres questions, mais j’imagine que ce travail oriente un peu ma pioche vers des zones plus fertiles.»
À quoi ressemble une journée typique pour toi en tant que concepteur sonore? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien!
«Beaucoup de travail en studio, soit pour composer ou pour ajuster mille détails de mix ou de timings qui bougent. Assister à des répétitions, tester des choses, couper les mauvaises, améliorer les moins pires. Concevoir l’installation des multiples haut-parleurs dans le vrai théâtre, et ajuster le volume de tout ça par rapport aux voix et à l’action. Mettre du temps en réunion, en coordination, vu que c’est un travail d’équipe. Et administrer la vie de travailleur autonome.»
«Dans les autres moments de la journée, en mangeant, en écoutant de la musique, un film ou une pièce, en marchant ou en lisant, je reste à l’écoute des projets qui vibrent. La réponse à une question qu’on a laissée ouverte peut se cristalliser grâce à trois secondes de l’intro d’une chanson entendue par hasard, au son de deux sableuses qui font une quinte un peu grinçante, ou au beat qui joue dans la voiture du voisin.»
Peux-tu nous parler des défis que tu as eu à relever dans le cadre de ta profession, que ce soit pour une production en particulier ou pour un évènement qui te vient en tête?
«Travailler pour la danse et trouver un terrain poétique commun, sans le texte comme guide. J’ai eu la grande chance d’en faire, entre autres avec Caroline Laurin Beaucage, et d’être totalement éberlué et ému devant cette forme de sculpture humaine émotive qui transforme et «sur-améliore» l’aventure musicale.»
Est-ce qu’il y a une ou quelques autres productions sur lesquelles tu as travaillé dont tu es particulièrement fier ou qui t’ont particulièrement marqué?
«Toutes mes collaborations avec Mani Soleymanlou me remplissent de joie. À part ça, du point de vue musical, je suis difficile avec moi-même, mais je suis content d’avoir pu me lâcher un peu plus «lousse» que d’habitude dans L’Éneide, Le déclin de l’empire américain, ou Dimanche Napalm. Je suis aussi content de l’apparente simplicité de Des souris et des hommes.»
Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme concepteur sonore et musicien, selon toi, et qui fait que ta signature auditive est reconnaissable?
«La question ne se pose pas vraiment en ces termes-là. Dans le contexte de la musique de scène, je n’ai pas besoin de défendre une «signature» pour me démarquer. Je cherche la meilleure chose possible pour un spectacle.»
«Si je veux essayer de la lambada disco à la flûte de pan, je ne dirai pas «non, ce n’est pas moi». Mais bon, forcément, mon cœur et mes limites forment sûrement une sorte de signature. Mes musiques sont rarement complètes en elles-mêmes, elles sont tricotées sur mesure pour les voix et pour l’histoire racontée.»
«J’aime bien aussi utiliser des sons non musicaux dans ma musique, comme un beat avec un bass drum, mais aussi avec une porte et un rabot. Je trippe sur les effets sonores, les additionner, les filtrer. Et je travaille beaucoup la spatialisation en salle. D’autres collègues font tout ça aussi, je ne suis pas le seul. Mais je le fais à ma façon.»
Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous entendre ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«Il y aura une reprise de Zéro avec Mani Soleymanlou et de Ceux qui se sont évaporés au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Aussi, la musique d’un Michel Tremblay au Théâtre du Rideau Vert… bientôt!»
Pour lire nos précédentes chroniques «Dans l’envers du décor», c’est par ici!
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