CinémaZoom sur un classique
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Le chef-d’oeuvre de Wilder s’ouvre sur des images du Sunset Boulevard de Los Angeles dont le titre est inspiré.
Joe Gillis (William Holden), scénariste déchu, vient d’être retrouvé mort dans la résidence de Norma Desmond (Gloria Swanson), située dans les hauteurs de la célèbre artère qui traverse la ville. Desmond, ancienne effigie des studios Paramount et grande star du cinéma muet devenue méconnue depuis l’arrivée du son, n’est toutefois pas nommée dans la première scène du film. Plutôt, Gillis, narrateur en voix-off, nous annonce d’entrée de jeu que le film nous révèlera toutes les mésaventures qui l’ont menée à se retrouver mort dans la piscine d’une ancienne star que nous nous apprêtons à connaître.
Déjà, une telle structure non linéaire brillait par son originalité à l’époque. Plus encore, la désormais célèbre introduction de Boulevard du crépuscule est aujourd’hui associée à un plan mythique maintes fois repris dans la culture populaire: celui de la dépouille de Gillis flottant dans la piscine, observée par les enquêteurs (voir galerie photo ci-dessous).
Une rencontre fortuite qui viendra tout changer
Au fil de la narration de Gillis, qui nous raconte sa propre histoire du début à la fin, on comprend que ce dernier a du mal à gagner sa vie comme scénariste et qu’il est poursuivi par deux huissiers venus récupérer son automobile. Alors qu’il tente de les semer, Joe Gillis se retrouve, un peu par hasard, devant une élégante et mystérieuse résidence sur Sunset Boulevard. Il entre donc dans ce manoir pour se cacher et pour réparer sa voiture tombée en panne, et se retrouve dans une situation qui surpasse toutes ses attentes: la propriétaire de la maison n’est nulle autre que Norma Desmond, qu’il reconnaît tout de suite…
Cependant, quelque chose ne tourne pas rond. L’actrice, pourtant très célèbre, vit seule avec Max (Erich von Stroheim), son majordome. Le manoir semble en décrépitude. Ce qu’il en reste est extrêmement kitsch. La décoration est ostentatoire et désuète. Les deux résidents, à la fois louches et élégants, parce que toujours vêtus en tenues de soirées, se gavent de champagne et de caviar tous les soirs.
Gillis est toutefois intrigué. Il entame donc une conversation avec Desmond afin de comprendre pourquoi cette actrice qu’il pensait connaître mène un train de vie aussi solitaire et étrange.
Fasciné par l’actrice, il décide alors de l’aider à rédiger un scénario sur lequel elle travaille depuis longtemps. En échange, Desmond héberge Gillis, ce qui lui convient bien, puisqu’il est criblé de dettes et qu’il doit se cacher de ses huissiers.
La rencontre entre les deux artistes donnera lieu à des scènes mémorables qui finiront par symboliser un tournant marquant de l’histoire du cinéma.
Raconter l’histoire d’Hollywood avec de l’autodérision
Boulevard du crépuscule est en effet profondément inspiré de l’histoire du cinéma et de la culture visuelle de son époque. Or, plutôt que d’agir en drame moralisateur, il divertit et présente beaucoup d’humour.
C’est principalement à travers Desmond et Max que le spectateur peut réfléchir aux déboires de l’univers déjanté qu’est Hollywood. Desmond est interprétée par Gloria Swanson, l’une des plus grandes stars du cinéma muet hollywoodien. Contrairement à son personnage, cependant, c’est elle-même qui a mis fin à son entente avec les studios Paramount et qui est devenue, dans des circonstances pour le moins complexes, moins sollicitée avec l’avènement du cinéma parlant.
Desmond, toutefois, apparaît comme une victime du système hollywoodien. Elle est éprise d’une folie grandissante, constatant avec horreur que les studios Paramount ne la désirent plus…
Son majordome Max occupe lui aussi un rôle à forte charge symbolique. Ce personnage serait d’ailleurs inspiré de la carrière de l’acteur qui l’incarne, Erich von Stroheim. Ce dernier, ayant réalisé plusieurs films, dont un long-métrage avec Swanson comme tête d’affiche, est demeuré boudé des producteurs américains, et il s’est fait oublié par la critique et le cinéma populaire de son vivant avant d’être reconsidéré, des décennies plus tard, par l’Histoire.
Justement, on apprend, dans Boulevard du crépuscule, que Max est en fait l’ex-mari de Desmond, et qu’il avait précédemment réalisé certains de ses films les plus importants. Rabaissé au rang de majordome, il agit comme symbole de la gloire d’Hollywood qui repose avant tout sur la célébrité plutôt que sur l’inventivité artistique. La ville n’a d’ailleurs bien peu de pitié pour ses réalisateurs.
Alors que ces sujets auraient pu être traités gravement et de manière intellectuelle, Billy Wilder a plutôt favorisé une approche humoristique. En effet, son film présente certainement de nombreux codes esthétiques du film noir (sobriété, voix-off, histoire de crimes, personnages typés, mystères, etc.), mais s’inscrit quand même dans le genre de la comédie. D’ailleurs, le personnage de Desmond nous fait rire avec sa gestuelle théâtrale, ses exagérations incessantes et sa naïveté exacerbée.
La folie de l’actrice, bien que reposant sur des idées sombres (la société de perdition et de cruauté qu’est Hollywood), devient charmante. C’est ainsi qu’elle (à la fois Swanson et Desmond) assume merveilleusement la mythique réplique: « I am big. It’s the pictures that got small!»
C’est véritablement cela que Wilder a voulu dénoncer avec son film. Dans le contexte du Code Hays, une loi de censure puritaine imposée à Hollywood, tout en considérant l’avarice et la soif de célébrité de certains producteurs, Wilder a su nous emmener dans l’envers du décor. Desmond et Max sont devenus de ridicules parodies d’eux-mêmes, embourbés dans les failles d’un système qui les a abandonnés.
Billy Wilder au sommet de son art
Si Boulevard du crépuscule est devenu un classique du septième art, ce n’est pas seulement parce que ce dernier s’est intéressé au paradoxes d’Hollywood, c’est aussi parce qu’il les a mis en scène dans les règles de l’art.
Tous les éléments d’un excellent film ont été combinés pour rendre justice à l’ambition de son récit. Les acteurs livrent des performances à la fois justes et touchantes. La direction de la photographie, menée par John F. Seitz, présente des mouvements de caméra qui révèlent constamment de nouveaux espaces qui parlent d’eux-mêmes. La musique, composée par Franz Waxman, est dramatique et percutante.
Et que dire du scénario, d’une intelligence rarement égalée dans les films noirs de l’époque! Les dialogues sont empreints d’une qualité littéraire, d’une poésie remarquable et d’un réalisme juste, rendant efficacement la réalité représentée. Voilà qui est approprié pour la critique sociale que sous-tend le film. Certaines répliques sont, de fait, demeurées très célèbres.
Justement, vers la fin du film, Desmond est au sommet de sa panique, alors que Gillis est sur le point de la quitter, dans un revirement de situation qu’elle n’attendait pas du tout. Par peur d’être laissée à elle-même, encore une fois, elle décide de tuer le scénariste. Lorsque les policiers arrivent, elle est en crise. Elle ne parle que de films et de caméras. Elle est comme possédée, déconnectée du geste qu’elle vient de commettre.
On la fait alors descendre des escaliers pour qu’elle sorte de chez elle, en prétendant qu’on l’attend pour tourner un nouveau film en bas. Devant les journalistes qui brûlent d’envie de photographier l’actrice devenue criminelle malgré elle, elle s’exclame: «Alright Mr. DeMille (un réalisateur qui l’avait autrefois dirigé), I’m ready for my close up!»
Évidemment suivie d’un close-up et d’une passe de violon des plus dramatiques, cette scène est devenue iconique du plus grand rôle de Swanson, concluant Boulevard du crépuscule avec brio.
Pour consulter nos précédentes chroniques «Zoom sur un classique» et ainsi avoir votre dose bihebdomadaire de septième art, suivez le labibleurbaine.com/Zoom-sur-un-classique.
«Boulevard du crépuscule» de Billy Wilder en images
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