CinémaZoom sur un classique
Crédit photo : Image provenant de l'oeuvre «Le cuirassé Potemkine» de Sergueï M. Eisenstein
«Le cuirassé Potemkine»: une résistance divisée en cinq actes
Juin 1905, URSS. Le cuirassé Potemkine sillonne les eaux de la mer Noire. Des membres de l’équipage souhaitent envoyer leur support à la population prise dans les grèves qui se trament alors dans tout le pays. L’élément déclencheur qui les poussera à rejoindre le mouvement socialiste est la nourriture avariée à laquelle les marins seront confrontés…
De fait, la viande est infestée de vers blancs! Les marins refusent donc de manger la nourriture, et ils se voient condamnés à mort pour insubordination. Tout juste avant que les premiers tirs ne soient entendus, le reste de l’équipage attaque les officiers et réussit à les jeter à l’eau.
Le cuirassé accoste alors à Odessa, une ville portuaire d’Ukraine au large de la mer Noire, où les marins sont accueillis en véritables héros. Les sacrifices des membres de l’équipage ayant perdu leurs vies alimentent la furie du peuple qui se révoltera contre le tsar et son gouvernement.
Le quatrième acte est incontestablement le plus important de l’œuvre: il s’agit du moment où l’armée cosaque attaque le peuple venu démontrer son support aux marins. Après le massacre, le cuirassé Potemkine utilise ses canons afin de détruire de grands symboles du tsar (notamment les gigantesques statues de lions).
Le film se termine sur le départ du cuirassé du port d’Odessa. Dans la mer Noire, il fait face à l’armée navale du tsar. Seul face à plusieurs navires, tout semble perdu pour le Potemkine… jusqu’au moment où les marins cessent les bombardements et montrent leur solidarité à l’équipage restant du cuirassé.
L’escalier du Potemkine: l’exemple parfait du montage des attractions
Tel que mentionné précédemment, la quatrième séquence du long métrage reste la plus percutante. Maintes fois étudiées, analysées et reprises (notamment dans The Untouchables de Brian De Palma), les images prises dans l’escalier du Potemkine, également appelé «l’escalier Richelieu», à Odessa, sont mémorables.
Un suspense parcourt quelques minutes de la scène lorsqu’un bébé dans une frêle poussette dévale les marches de l’escalier. Pendant ce temps, l’armée cosaque s’approche méthodiquement vers la foule en panique, qui court alors dans tous les sens.
Des conflits visuels et sonores sont montrés ou entendus. Les ombres des militaires sont droites, ordonnées et imposantes, tandis que celles de la population sont inexistantes, voire écrasées sous le poids de la menace qui approche à grands pas. Ces conflits présentés au sein des images, que nous pourrions définir comme étant des conflits internes, sont des résultats du montage des attractions pratiqué par Sergueï M. Eisenstein.
Pour l’époque, le montage du réalisateur russe est pour le moins révolutionnaire. Par l’association des images, il fait ressortir une sorte d’accord entre le fond et la forme. Il crée des chocs poétiques et rythmiques, et surtout idéologiques, qui permettent aux spectateurs de créer des liens entre les images montrées, même si, parfois, elles ne semblent pas s’accorder ensemble.
Par exemple, dans un autre de ses films, intitulé The Strike (1925), Eisenstein met en parallèle la mort d’un bœuf à l’abattoir et le massacre de la population par l’armée de l’URSS. Vues séparément, ces images ne semblent pas appartenir à la même œuvre, et pourtant, oui! En présentant les plans des deux massacres en parallèle, les spectateurs peuvent ainsi comparer les morts.
À première vue, ces décès semblent bien différents, mais Sergueï M. Eisenstein nous montre que le massacre du peuple est identique à la mort de l’animal à l’abattoir.
L’école soviétique et la propagande
Sergueï M. Eisenstein n’a pas inventé ces techniques de montage tout seul. À ses côtés, Lev Koulechov, Vsevolod Poudovkine et Dziga Vertov (pour ne nommer qu’eux!) innovent différentes techniques et théories. Ce dernier s’oppose d’ailleurs vivement aux idées d’Eisenstein et propose sa propre vision qu’il appellera «ciné-œil», qu’il présentera dans sa symphonie urbaine avec L’homme à la caméra (1929).
Tous ces cinéastes russes sont rattachés à un mouvement qui s’appelle l’école soviétique. Koulechov a d’ailleurs créé sa propre école de création et de recherche. Il s’agit avant tout du début des recherches sur le cinéma et sur les effets que le montage provoque chez les spectateurs. C’est un point décisif dans l’histoire du septième art.
À travers les nombreuses œuvres réalisées par des cinéastes de l’école soviétique, plusieurs d’entre elles sont des films de propagande. Eisenstein, pour sa part, voit d’ailleurs ses oeuvres comme une sorte d’éducation (à l’aide du montage) par la propagande. Il désire parler de la révolution, mais aussi la faire, à sa manière. Et pour lui, c’est la forme qui lui permet d’atteindre son but.
Contrairement au cinéma hollywoodien qui mettait l’accent sur la narration et sur l’esthétique parfaite, Sergueï M. Eisenstein bouscule les codes classiques du cinéma commercial et provoque ainsi des changements marquants qui auront des impacts jusqu’au cinéma d’aujourd’hui.
Le cuirassé Potemkine est le film le plus saillant de sa filmographie (mais tous les autres valent la peine d’être vus!) Près d’un siècle après sa sortie, tous les artistes, critiques, théoriciens et cinéphiles en font l’éloge, sans arrêt.
«Le cuirassé Potemkine» en images
Par Images provenant de l'oeuvre «Le cuirassé Potemkine» de Sergueï M. Eisenstein