LittératureDans la peau de
Crédit photo : Maxyme G. Delisle
Chrystine, on a suivi de près les aventures de Maud Graham ces dernières années. Quand as-tu eu la piqûre pour l’écriture, et plus particulièrement pour celle de romans policiers?
«Quand j’étais enfant, je lisais les aventures de Fantômette et mon goût pour le mystère et les intrigues ne s’est jamais démenti depuis. J’ai découvert Highsmith, Serbanenco, Manchette et, bien sûr, les grands romans noirs américains à l’adolescence. Séduite par la complexité des intrigues, les personnages dont la vie bascule vers le mal, le climat étrange et les réflexions sur la société, j’ai voulu à mon tour créer un personnage, Maud Graham, qui aurait à défendre les plus faibles, à enquêter pour découvrir la vérité, le côté sombre de l’être humain. En imaginant Graham, je voulais aussi donner un personnage féminin qui corresponde mieux à la réalité, ni blonde évaporée ni rousse pulpeuse ni noire diabolique comme il s’en trouvait beaucoup dans les polars, mais plutôt une femme à qui on peut s’identifier, une femme ordinaire qui pratique un métier hors de l’ordinaire.»
Le 8 avril prochain, le recueil de nouvelles Ponts paraîtra aux Éditions Druide sous ta direction. Il semble que ce soit l’œuvre de l’artiste montréalais James Kennedy qui t’ait donné l’envie d’inviter 12 auteur.e.s à s’exprimer autour de ses créations. D’où t’est venue cette idée, et de quoi parlent ces histoires?
«Une ruelle du Plateau Mont-Royal sépare ma cour de l’atelier de James Kennedy, j’ai donc eu la chance de pénétrer souvent dans ces lieux où James crée ses œuvres si originales, si fortes. Une série consacrée à treize ponts du Canada et des États-Unis m’a tellement plu que j’ai eu envie de permettre à tous ceux qui n’ont pas accès à l’atelier de l’artiste de découvrir son travail. J’ai proposé à James Kennedy de réunir autant d’auteurs qu’il y a de ponts. Des ponts auxquels nous avons inventé des histoires fantastiques, nostalgiques, tendres ou inquiétantes qui disent autant l’amour que la haine, la résilience, l’abandon, l’amitié, l’apprentissage, la sagesse et l’humour.»
Parmi les auteurs participant à ce collectif de nouvelles, on retrouve entre autres Martin Michaud, R. J. Ellory, Tristan Malavoy, Johanne Seymour et même Ariane Moffatt. Comment s’est faite ta sélection, et comment as-tu approché ces artistes?
«Il était tout naturel pour moi d’inviter des auteurs de romans policiers tels que Martin Michaud, R. J. Ellory, Johanne Seymour, François Lévesque, Marie-Eve Bourassa, Benoit Bouthillette, puisque nous nous côtoyons depuis des années dans l’univers du crime. Mais afin d’assurer une vraie diversité au recueil Ponts, il fallait trouver des complices qui pouvaient aussi être séduits par l’univers de James Kennedy. Les mots qui rythment les créations d’Ariane Moffatt comme celles de David Goudreault ou de Tristan Malavoy ont pour moi une pulsation urbaine très particulière qui pouvait être transmise à un pont avec succès. J’ai eu également la chance que Claudine Bourbonnais et Marie-Eve Sévigny dont j’ai tant aimé Métis Beach et Sans terre acceptent mon invitation et traversent ces ponts pour nous surprendre.»
À travers ce recueil, tu signes également une nouvelle. Quel est son titre, et peux-tu nous résumer brièvement l’histoire?
«Le titre est Retrouvailles. Il est question d’un crime, de l’impact de cette tragédie sur une survivante, mais surtout d’amitié et de fidélité. Cette nouvelle m’a permis d’adresser un clin d’œil à James Kennedy, puisque le pont que j’ai choisi est le Tracel de Cap-Rouge sur lequel il s’est baladé lorsqu’il était jeune et imprudent… Comme ce pont est situé près de Québec, j’ai pu facilement le voir, marcher près de ses immenses pylônes, admirer sa structure qui rappelle l’art des artistes des Premières Nations et m’en inspirer pour écrire ma nouvelle. Tous les auteurs n’ont pas pu, bien évidemment, arpenter les ponts qu’ils ont évoqués dans leur texte, mais je sais que Claude Garneau a été jusqu’en Nouvelle-Écosse pour observer de près les joints de dilatation du pont McDonald.»
Si tu avais la chance de vivre un moment privilégié avec un.e auteur.e de romans policiers, vivant.e ou décédé.e, qui choisirais-tu et de quoi aurais-tu envie de parler avec cette personne?
«J’aurais vraiment aimé rencontrer Patricia Highsmith dont l’œuvre me fascine encore et toujours et à qui je dois beaucoup. Elle a un incroyable talent pour introduire le doute dans le quotidien le plus banal, pour créer un malaise qui se mue rapidement en angoisse, en obsession et ses personnages délicieusement tordus nous habitent longtemps après avoir terminé la lecture de ses romans. C’est probablement l’auteur qui m’a le plus influencée et nous aurions sûrement parlé de la construction d’un roman, de la manière d’insuffler du suspense à une histoire et des chats qu’elle affectionnait tout comme moi…»