ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Patrick LaRoque
Bernard, on aimerait que tu nous racontes comment tu en es venu à faire de la musique professionnellement.
«C’est venu tout naturellement. Mon père, qui était mélomane et musicien amateur, m’a inscrit à des cours de violon à l’âge de six ans; j’ai tout de suite adoré ça. Plus tard, à l’adolescence, à cause de mon intérêt pour la musique rock, j’ai bifurqué vers la guitare électrique. Je trouvais alors qu’il était plus facile de se former une personnalité et un son original sur cet instrument; il y a tellement de manières différentes de jouer et de faire sonner une guitare. Ensuite, je suis allé au cégep en musique et j’ai co-fondé un groupe rock. Après quelques années, je suis retourné aux études à l’université en technique d’écriture musicale. Et suite au baccalauréat, les propositions musicales intéressantes n’ont pas cessé; j’ai donc continué à faire de la musique.»
En tant que compositeur, musicien et interprète actif depuis près de 25 ans, tu as fait ta marque sur la scène québécoise, notamment au sein de tes projets solos, ou encore en jouant aux côtés d’artistes aussi variés que Marie-Jo Thério, Tanya Tagaq et Urbain Desbois. Peux-tu nous raconter brièvement tes rencontres les plus marquantes à vie comme musicien?
«Il y en a tellement! Chaque rencontre est importante, vraiment. Il y a certainement Fred Roverselli et Rémi Leclerc, avec lesquels j’ai formé, vers 1990, le groupe d’improvisation PapaBoa. Ce groupe a beaucoup joué et fait deux disques, ce qui a permis au compositeur et guitariste André Duchesne de me découvrir, une autre rencontre marquante. En jouant dans les projets d’André, j’ai fait la connaissance de toute une communauté de musicien(ne)s de musique actuelle, dont Michel F. Côté, avec qui j’ai composé en duo plusieurs musiques de scène et de film, et avec qui j’ai formé le trio Klaxon Gueule, en compagnie d’Alexandre St-Onge.»
«Au-delà des personnes, il y a aussi ma rencontre avec la musique contemporaine à l’université, mais aussi en travaillant quelques années comme assistant pour le Nouvel Ensemble Moderne. En 1990, l’imposant festival Montréal Musique Actuelle a aussi été très important. J’y ai découvert l’immense étendue du spectre des musiques nouvelles. Enfin, la rencontre de l’improvisation libre, qui est une discipline exigeante mais tellement nourrissante, mais dont la pratique est essentielle pour moi.»
On sait que tu as réalisé une trentaine de bandes sonores pour la télé, le cinéma, la danse et le théâtre, entre autres pour Wajdi Mouawad, Robert Lepage et Brigitte Haentjens, en plus de composer des pièces originales pour des ensembles de musique de chambre. Tu es un vrai touche-à-tout! Comment en es-tu venu à apposer ta signature dans ces disciplines variées, et qu’est-ce qui t’attire le plus dans le fait de composer de la musique pour une création artistique?
«Ce qui m’attire, c’est le fait que ce soit différent à chaque fois. Chaque création amène sa série de contraintes qui me permet d’explorer d’autres choses. Non seulement je dois essayer de créer un univers cohérent pour chaque projet, et ça peut être extrêmement varié d’un projet à l’autre (par exemple, du quatuor à cordes au glitch électro), mais il y a aussi le fait que le rôle et la fonction de la musique changent selon la nature du projet. Tandis que dans certains projets, la musique est très présente, dans d’autres, ça ne fonctionne que si les spectateurs ne remarquent même pas qu’il y a de la musique. Ce qui ne l’empêche pas d’être très importante.»
«J’aime beaucoup le rôle d’accompagnateur, par exemple, dans des soirées de lecture, qui consiste à essayer de faire briller le plus possible le lecteur sans distraire l’attention de l’auditeur.»
«Pour ce qui est de la signature, ce n’est pas à moi de le dire. Bien que je m’efforce d’aborder chaque projet sous un angle différent, ça sonne toujours un peu comme moi. Mais je n’y peux rien…»
À quoi ressemble une journée typique pour toi? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien de musicien, compositeur, arrangeur, mixeur et directeur musical!
«Pas de journée typique et c’est ce qui me plaît! Parfois, je me lève tôt pour aller en studio. D’autres jours, je me lève tard, parce que j’ai joué la veille à l’extérieur de Montréal. Je peux passer la journée seul devant l’ordinateur à composer ou à mixer, ou encore en groupe à jouer dans un local de répétition. Il y a aussi des tournées, des résidences, etc.»
Comment avez-vous travaillé avec Francis Monty et Marcelle Hudon pour créer l’univers musical de Hyde? Peut-être pourrais-tu nous parler de vos sources d’inspiration également!
«Nous savions dès le départ que je jouerais de la guitare électrique sur scène. La musique devient comme un personnage. Il y a une interaction avec les manipulateurs et comédiens qui est tellement plus vivante que si la musique est préenregistrée. La guitare a aussi une capacité de métamorphoses sonores qui n’est pas sans rappeler celles du docteur Jeckyll. J’utilise beaucoup la guitare préparée (des objets coincés entre les cordes, par exemple) pour créer des sonorités inhabituelles, parfois inquiétantes. Sinon, j’ai participé à beaucoup d’ateliers dès le début du projet. Tout s’est créé conjointement: le travail de marionnettes, les ombres, les textes et les musiques.»
«Les rôles se mélangent parfois; la marionnettiste se met à chanter, les objets sont amplifiés et participent à la musique, la guitare devient presque elle-même une marionnette, etc. Nous avions convenu d’éviter les ordinateurs autant que possible, du moins au début, et j’ai élargi ma palette sonore avec un tourne-disque, en utilisant des musiques symphoniques déformées (ralenties, à l’envers, etc.). C’est assez cauchemardesque, quoi.»
Est-ce qu’il y a des projets sur lesquels tu as travaillé, toutes disciplines confondues, dont tu es particulièrement fier, ou qui t’ont particulièrement marqué?
«Sans doute mes quatre disques solos: Do, Clic, S’enfouir et Lézardes et zébrures, dont j’ai composé les musiques, mais que j’ai aussi interprétées, enregistrées et mixées. Dans certains cas, j’ai aussi réalisé les pochettes. Aussi, l’Opéra de quat’sous, mis en scène par Brigitte Haentjens, pour lequel j’étais arrangeur, directeur musical et musicien sur scène. C’était un répertoire inhabituel pour moi, et le fait de travailler en profondeur les musiques de Kurt Weill a été très enrichissant. Mais il y a tellement d’autres projets qui m’ont marqué…»
Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme compositeur et musicien, selon toi, et qui fait en sorte que ta signature soit reconnaissable?
«Peut-être ma capacité de veiller aux intérêts des créations plutôt qu’à répondre à mes propres désirs (j’ai des projets solos pour ces désirs-là). Je sais me faire très discret bien que, attention, je peux aussi parfois prendre beaucoup de place!»
On a appris que tu as signé la musique de «L’effet Hyde», présenté du 18 au 22 février du côté du Théâtre Aux Écuries. Tu as même ton propre rôle au sein du spectacle, puisque tu interpréteras la musique en formule live. Et sinon, dans quel(s) autre(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«Les musiques d’un autre spectacle de danse jeune public avec la compagnie Bouge de là! (mon septième avec eux), une tournée avec Marie-Jo Thério, pour fêter les 20 ans du disque La Maline, et aussi un tout nouveau trio: Falaise, Martel & Martin (avec Pierre-Yves Martel et Jean Martin) au prochain Festival des Musiques de Création à Jonquière.»