ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jean-François Hétu
ZÉRO, c’est un bilan. Un état des choses où l’auteur se questionne, non seulement à propos de sa place dans notre société, mais aussi à propos de l’héritage qu’il lègue à son enfant. De l’état de la planète dans laquelle ce dernier vivra. Du climat social, au Québec, pour un enfant dont le nom de famille est Soleymanlou. Un spectacle dont le texte est finement ciselé, sans en avoir l’air; le monologue pourrait être différent chaque soir, et à moins d’assister à plusieurs représentations, le spectateur n’en saurait rien.
Car c’est avec un naturel désarmant que le dramaturge nous déballe cette logorrhée de haute voltige, une prolongation de cette œuvre fascinante et obsessive, dans laquelle il est «l’épicentre de son histoire».
On aime propager le lieu commun voulant qu’un auteur soit à son plus confortable quand il traite d’un sujet qu’il maîtrise. Mani Soleymanlou, au-delà de l’autoréférence, ajoute ici des briques à une mosaïque fourmillant de détails, d’apartés, de digressions, d’anecdotes, d’observations goguenardes. Sans jamais aller directement au but, il tisse une toile dans laquelle s’englue le spectateur, un parcours narratif semé de petits pièges sympathiques dans lesquels on s’attarde avec un plaisir non dissimulé.
La rhétorique de Mathieu Bock-Côté? Nous y passons. Le régime de terreur de l’Iran de son père? Présent. Les amalgames qui prolifèrent dans les médias populistes de la province? Une belle démonstration de force.
C’est un show excessivement intelligent qui nous est proposé, où l’emphase n’est pas mise sur un procès du Québec actuel, comme on pourrait le croire si on s’en tient au premier degré, mais plutôt sur les nombreuses contradictions qu’un regard extérieur, un regard d’immigrant par exemple, pourrait déceler dans nos dynamiques sociales.
Dans l’un des plus hilarants moments de théâtre de récente mémoire, Mani se demande ce que les chroniqueurs de droite se faisaient lire comme histoire par leurs parents, avant de dormir. Il imagine un conte de cour d’école dont les protagonistes (Martineau, Duhaime, Legault) carburent à la haine et à l’ignorance. Une élucubration farfelue? Que nenni! C’est même beaucoup trop près de la grinçante réalité.
Le père de Soleymanlou lui a récemment raconté l’histoire terrifiante ayant précipité sa fuite de l’Iran, et il nous la relate à son tour, dans une mise en abîme jazzy qui alterne habilement entre la performance et la caricature. C’est le mythe fondateur, un important élément du puzzle identitaire de la famille.
L’exil comme thématique n’est pas une nouveauté chez l’auteur, et ZÉRO est donc un prolongement de sa réflexion globale, pimenté d’éléments nouveaux issus de l’actualité politique. La nouveauté dans son discours est sans doute la paternité, une expérience qui le rend attendrissant, même lorsqu’il se contredit joyeusement – et volontairement – en décrétant qu’il ne veut pas transmettre son identité iranienne à son fils.
Après un détour vers nos aînés (NEUF – Titre provisoire, présenté l’an dernier au Théâtre d’Aujourd’hui), l’auteur revient piétiner une thématique qui lui est chère, dans le théâtre où il a fait ses débuts, et le plaisir qu’il ressent dans sa démarche est définitivement contagieux.
«ZÉRO» de Mani Soleymanlou en images
Par Jean-François Hétu
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