SortiesCirque
Crédit photo : Pedro Greig
Une gamme d’émotions
Durant les premières minutes de la représentation, le public, représentant un échantillon de la classe moyenne de tous les âges, est figé par le stress: à chaque instant, un acrobate frôle la commotion cérébrale en se lançant la tête la première vers le sol, bras le long du corps. Au dernier moment, son menton se loge contre ses clavicules et son dos s’arrondit, il roule au sol sans bruit, sans collision.
Dans un autre tableau, les acrobates-comédiens se mettent l’un après l’autre à tenter de se lécher le coude, à soi-même puis l’un l’autre, chacun étant contaminé par le comportement qu’il observe puis qu’il adopte jusqu’à l’obsession. Les duos se lèchent allègrement entre eux, tandis que celui laissé seul s’obstine dans une tentative désespérée de se lécher soi-même… un acte qui rappelle sans détour la masturbation.
Sous un éclairage aux teintes jaunâtres, des rires tout aussi jaunes fusent chez nos acteurs. Peu après, une mélodie mélancolique plonge les spectateurs dans une profonde tristesse.
Tour du monde et éventail de thèmes
L’œuvre de Circa provoque un tour d’horizon de nos états intérieurs, mais est aussi tournée vers l’extérieur en explorant des thèmes qui font le tour du globe. Ainsi, au tout début, il est question d’animalité, représentée en ces dix corps qui bondissent, sveltes et puissants.
Sur les notes de la capoeira brésilienne, la détresse torture un acrobate: il se lance au sol de façon répétitive, comme dans un effort vain d’échapper à son sort… comme les esclaves du Brésil?
Dans un duo, deux danseurs évoquent l’homosexualité. Un autre duo, où un homme intrigué manipule le corps inanimé d’une contorsionniste du groupe, aborde la question du corps de la femme et de la «femme-objet».
Il est aussi question de maladie mentale, sous la forme de persévérations dans un comportement tout à fait inapproprié et auto-destructif: on observe ainsi la répétition incessante d’un mouvement acrobatique risqué, sans queue ni tête, sens dessus dessous.
L’homme complet, l’homme intégré
Il est finalement question, en une superbe conclusion réconfortante, de l’homme comme «animal social» et de l’importance du groupe, dont on ne peut plus douter à travers les acrobaties en main-à-main impliquant une poignée d’artistes.
L’impression que laisse Circa en est une de cohérence et d’intégrité. Cela peut étonner vu la gamme d’émotions, la diversité musicale et l’ampleur des thèmes explorés. La scène finale reprend intelligemment des éléments de l’œuvre: le personnage qui tente de se lécher le coude, celui qui persévère dans l’autodestruction, etc. La réussite de Circa tient aussi au fait d’une technique uniformément intégrée par les dix corps, tant au niveau de l’acrobatie, que de la danse ou de l’expressivité théâtrale.
Lors des scènes finales, c’est peut-être le mot «conscience» qui convient le mieux à l’atmosphère qui règne dans la TOHU. Comme si, exorcisé de toutes les émotions humaines par cette fresque cathartique, il ne restait au spectateur que la conscience, omnisciente, de son humanité.
L'événement en photos
Par Pedro Greig
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de la rédaction