ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Marie-Andrée Lemire
À l’instar de Pauline Julien, ce «petit arbre dur» qui se dressait devant les foules toutes branches tendues vers le ciel, Allard renverse par sa vitalité. L’actrice relate combien l’influence de Julien, cette «femme démesurée», a été déterminante pour le cours de sa propre destinée.
Outre ces confidences auxquelles se prête Allard, la pièce, co-produite par Autels particuliers et le Théâtre des gens d’en bas, reconstitue des épisodes de la vie sentimentale de Julien et Gérald Godin, ce que d’aucuns qualifieraient de power couple de nos jours. Le rôle de Godin sied naturellement à Gabriel Robichaud, lui-même étant poète.
La rencontre initiale entre le jeune Godin, journaliste au Nouvelliste, et la chanteuse en 1961 est d’abord mise en scène, suivie de nombreux conciliabules amoureux, de certains événements notoires comme la Nuit de la Poésie ayant rallié quelque 4000 personnes en 1967, ainsi que d’évènements politiques auxquels ils ont pris part.
Un hommage qui détonne
À l’occasion du 20e anniversaire du décès tragique de Pauline Julien, égérie d’une époque, de nombreuses propositions ont été offertes afin de commémorer sa mémoire. Plusieurs chanteuses et interprètes ont ainsi revisité ses chansons à l’occasion de Sur les traces de la renarde. La réalisatrice Pascale Ferland a exploré deux versants de son existence, nommément L’intime et le politique dans un documentaire l’année dernière pour l’ONF. Tout récemment, Leméac a publié un deuxième ouvrage exhumant la correspondance qu’ont entretenue Godin et Julien.
Or, la singularité de Je cherche une maison qui vous ressemble tient à ce que la pièce interroge l’héritage du couple à la lumière de ce qu’est devenue notre société. Ainsi, qu’en est-il de l’indépendance en 2019? La ferveur souverainiste qui embrasait le Québec à une certaine époque est-elle désormais réduite à un «petit tison fatigué comme un botch de cigarette»? N’y a-t-il pas lieu de dénoncer le dévoiement du projet de souveraineté, les écueils ethnocentriques dans le propos de certains tenant.e.s de l’indépendance? Un questionnement courageux s’il en est un, et douloureux par surcroît. Ces doutes auraient sans doute meurtri Julien et Godin, dont la fermeté était légendaire, allant jusqu’à cultiver la part d’ambiguïté associée à l’emploi de la violence par certains membres du FLQ.
Les échos des revendications d’hier résonnent-ils dans le Québec actuel? Quels combats consentirions-nous à mener de nos jours? Comment déloge-t-on une société de son immobilisme, parvient-on à la persuader de «déménager» et d’oser rêver, plutôt que de «rester là» comme le l’expriment les paroles de Réjean Ducharme, en s’accommodant des circonstances, si atténuantes soient-elles?
La part belle aux mots
Sur scène, deux pans de bibliothèque constituent l’unique mobilier du spectacle. Elles offrent une sorte d’accès à l’âme de ces deux artistes et militants, se resserrant sur eux en créant un espace d’intimité. La présence discrète, quoique soutenue et essentielle de deux musiciens contribue à feutrer l’ambiance, conférant un aspect de cabaret nostalgique au spectacle. L’utilisation de la projection vidéo, bien que la mise en scène de Benoît Vermeulen ne repose pas démesurément sur celle-ci, permet d’accéder à certaines images des archives du couple.
Une telle simplicité dans la scénographie est judicieuse, car c’est aux mots qu’est faite la part belle – ceux des deux artistes, ainsi que ceux de Marie-Christine Lê-Huu. S’il est difficile de comprendre ce qui a présidé à l’ordre dans lequel sont présentés les différents épisodes de la vie du couple, les chansons de Julien, agencées avec le magnifique timbre d’Allard, rythment l’évolution de la pièce, assurant une sorte de fil conducteur à travers les méandres de sa vie sentimentale mouvementée avec Godin. Car si celle-ci était, le plus souvent, baignée de lumière, il semble que le couple ait traversé quelques cellules orageuses à certaines occasions.
Je cherche une maison qui vous ressemble compte parmi ces pièces mémorables qui instillent un sentiment de reconnaissance chez l’auditoire envers ses créateurs.rices. Il n’y a pas à dire: Julien et Godin, par-delà leur disparition, bouleversent toujours par la totalité de leur engagement et la sensibilité de leur être, par leur complexité abritant à la fois cette facette d’«oiseau fragile» et celle de «monstre imparable».
Cet hommage auquel l’équipe de création a infusé son propre vécu est pleinement assumé comme étant personnel; or, il ne s’agit pas moins du «vrai visage de notre histoire», que nous observons à travers la lorgnette de notre époque.
«Je cherche une maison qui vous ressemble» en images
Par Marie-Andrée Lemire
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