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Crédit photo : Photo à la une: Mariana Frandsen (Lauranne Faubert-Guay dans «Ponos»)
Tangente organise Danses Buissonnières chaque année dans le but de faire découvrir de nouveaux artistes émergents du milieu de la danse contemporaine. Ce soir, c’est cinq représentations qui nous ont été généreusement données à voir.
Le jeu de la matière qui ouvre nos deux sens; l’ouïe et la vue
C’est par un solo très expérimental que la soirée a débuté, celui de Lara Oundjian, intitulé Leaky Im- mediation / Transcorporeal Creeping. Nous avons été directement plongés dans un univers intrigant, avec ces quelques objets disposés de part et d’autre sur la scène. Un espace visuel intéressant, mais nous laissant un bon nombre d’interrogations sur l’utilité de ces objets.
L’interprète, durant sa performance, a manipulé la matière de son environnement extérieur comme intérieur, faisant ainsi interagir son propre corps avec le corps inerte des objets qui l’entouraient. L’environnement sonore était d’ailleurs créé par elle-même. Pour cela, elle effectuait en direct des enregistrements sonores retentissant de son propre corps avec une certaine étrangeté, mais également des sons provenant du matériel disposé autour d’elle.
Le concept de cette exploration sonore est à la fois habile et adroit. On en venait à visualiser l’artiste comme un corps organique, devenant matière qui se mélange et qui se fond, dans ce tableau aux couleurs mauves et violacées. Ainsi, plongée dans un univers liquide et vaporeux, elle se transformait elle-même en liquide; en eau dans laquelle elle trempait sa main; en bâche sur laquelle elle repliait ses doigts; en un espace qui gravitait autour d’elle et en elle-même, dans cette recherche exploratoire d’un univers visuel et sonore.
«On marche sur la tête!», cette expression qui signifie une action en contre-sens, utilisée en cas de colère, pourrait s’appliquer à définir le second solo de cet évènement. C’est la tête lourde d’idées que Lauranne Faubert-Guay nous a présenté Ponos – à l’épreuve du poids, avec une composition musicale de Yann Villeneuve.
Durant ces dix minutes, la physicalité de l’interprète a été mise à l’épreuve dans un espace coupé en deux par un grand ruban rouge que l’artiste venait placer sur le tapis de danse. On voyait aussi une balance au centre de la scène, renvoyant dès lors cette notion de poids, de même qu’une photographie intrigante affichée dans le fond de scène. Le visuel était soigné; un jeu entre le noir et les bandes de couleur rouge s’effectuait; bref, rien n’était laissé au hasard.
C’est dans une traversée de l’espace que s’est lancée la danseuse avec difficulté et épuisement; un mal-être se faisait même sentir. Un corps torturé, avec un crâne qui paraissait intensément lourd, s’aventurait devant nos yeux à la quête d’une légèreté, d’une élévation vers le haut. La tête rampant au sol, le visage frottant et rampant lui aussi à terre, tout en se déformant petit à petit, donnait réellement cette sensation de lourdeur – voire d’impossibilité à avancer. L’épuisement s’est alors intensifié et a même provoqué une certaine empathie chez le spectateur.
De ce fait, le crâne est reconnu pour être l’une des parties les plus lourdes de notre corps, et ce soir-là, nous avons eu un visuel de cette expérimentation. Cette pièce fait ressurgir beaucoup de violence morale, mais également physique: celle faite au corps. Il est difficile de regarder un corps évoluer avec autant de difficulté sur le tapis en face de soi. Beaucoup de questionnements autour de la notion du poids et de cette quête de légèreté libératrice en ont découlé.
Entre la tension et le lâcher-prise
Le programme s’est poursuivi avec Psukhê, une création de Kali Trudel. Il y avait des personnages étranges, des couleurs vives, des chaises et un univers sonore particulier. C’était une signature chorégraphique assumée qui s’imposait sur scène, avec une part d’euphorie mêlée à une certaine étrangeté enrobant la création.
Trois interprètes, Alexandra Kelly, Izabelle Pin et Kali Trudel, faisaient face aux spectateurs; tous arborant un style loufoque, créé par Adam Provencher. Ce dernier symbolisait des personnages en collants de couleurs flash; et tous portaient une cagoule sur le visage pour cacher leur expression.
L’univers sonore était très lunaire, il nous plongeait facilement dans une dimension fictive, voire mystique. Une gestuelle variait entre la mise en tension et le relâchement.
Les mouvements des interprètes démarraient dans un genre de défilé avec des danseuses tentant de traverser l’espace sur demi-pointe. Cela faisait ressortir une certaine fragilité, notamment en raison des costumes glissant sur le tapis de sol. Sur les chaises, l’image se figeait. Ces personnages étaient présents et nous fixaient, les masques tombaient. Deux interprètes s’enlaçaient ensuite, glissaient au sol, s’évitaient… Toujours dans une gestuelle douce et fluide. L’atmosphère dans laquelle nous plongeait la pièce était nettement assumée, entre fiction et caricature de l’être.
La circularité en continu
C’est un trio composé de trois jeunes interprètes (Miranda Chan, Mathilde Heuzé et Raphaëlle Renucci) qu’a décidé de présenter Stefania Skoryna, la chorégraphe de cette pièce qui porte le nom d’Ellipses.
Des gestes précis et hypnotiques, dans une forme de circularité continue, faisaient penser à un cycle infini. Ces formes tracées dans l’espace, et les mouvements perpétuels des danseuses, entraînaient le regard du spectateur et le transportaient dans une bulle anesthésique.
Les gestes étaient rigoureux et effectués avec une belle minutie, notamment grâce à la maîtrise de la part des trois interprètes, qui étaient portés par une musique très envoûtante, réalisée par le compositeur Olivier Alary. En effet, un même élan poussait le corps dans un même rythme, amenant parfois des moments décalés, des solos, ainsi que des effets de groupe.
Le spectateur était donc laissé sous hypnose pendant neuf minutes face à ce souffle de simplicité et de neutralité cachant une complexité dans l’écriture de la partition gestuelle.
Quand la différence rassemble les êtres
La dernière présentation de la soirée était chorégraphiée et mise en place par _Demerde et ses interprètes Marie-Denise Bettez, Didier Emmanuel, Cédric Gaillard, Laurence Gratton, Matthy Laroche et Izabelle Pin.
La scénographie était assez neutre et en disait long sur le sujet qu’avait voulu faire partager l’artiste. On retrouvait une table et des chaises disposées dans le fond de la scène. D’ailleurs, le spectateur était lui aussi intégré à cette mise en scène, car il pouvait choisir de s’installer sur scène à condition de longer les rideaux. Cela lui permettait également de choisir son propre point de vue pour mieux observer les différents tableaux.
Le spectateur a donc eu droit à un rassemblement de six personnalités aux attraits physiques très différents, mais qui pourtant semblaient très proches. La complicité de ces derniers se voyait sur scène, et leur douceur les uns envers les autres amenait de la vulnérabilité et de l’amour à l’ambiance globale de la création. Ces six artistes se regardaient, s’amusaient, dansaient, communiquaient… tout en gardant leur identité et leur individualité propres.
Ils démarraient presque tous assis autour d’une table à se regarder dans les yeux, faisant abstraction du public autour d’eux. C’était une image forte qui donnait le ton au sujet de ce que la créatrice avait souhaité partager avec nous. Dans une mise en scène soignée, la créatrice a su attirer l’attention sur chaque petit geste, chaque petite attention; et beaucoup de détails pouvaient être visibles, suivant l’angle que l’on choisissait d’adopter pour observer la scène.
Un élan de générosité, de partage et de communication traversait cette pièce d’une humanité profonde.
L'événement «Danses Buissonnières» en images
Par Mariana Frandsen et David Wong
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de la rédaction