ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Ariel Tarr
L’histoire? À vingt ans, à sa sortie de l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe, elle rêvait d’être actrice et d’obtenir, bien évidemment, les premiers rôles. «On fait pas l’école pour rêver d’un rôle de figurant». Puis, elle a rencontré son chum, avec tant de romantisme qu’une femme ne peut faire autrement que de craquer littéralement… Elle a fondé une famille et remisé ses rêves, sans pour autant éprouver des regrets.
Aujourd’hui, mère de deux enfants, retirée dans une maison à la campagne avec un chum cultivateur de jardin en permaculture, elle semble comblée de bonheur. Pourtant, lorsqu’une amie actrice au sommet de sa gloire lui rend visite, le doute la saisit et la tenaille… Se complaît-elle dans son confort? À quel moment a-t-elle arrêté de rêver?
En arrivant au théâtre, on découvre d’abord un décor dépouillé, une table, une chaise et un bol avec des papiers. Puis on comprend que le monologue J’t’aime encore est inspiré de la vie de Marie-Joanne. Cette dernière et Roxanne se sont questionnées sur les thèmes de l’enracinement amoureux, de la condition féminine, des rêves, du choix de vivre en région, et de la maternité.
La prémisse de l’histoire est somme toute assez commune: l’actrice nous raconte son train-train quotidien de mère au foyer, son chum souvent parti, un adolescent à qui il faut répéter sans cesse les mêmes consignes élémentaires, les crises du bébé, les jardins en permaculture, et ses bestioles…
Toutefois, Roxanne Bouchard aborde ces faits saillants de son quotidien sous l’angle original de la permaculture, traçant des similitudes entre un sujet anodin et le thème de l’enracinement amoureux. À l’aide de métaphores, on comprend relativement bien que le jardin en permaculture correspond au temps investi dans sa relation, que cet habitat où cohabitent les bestioles et la faune, aussi répugnant cela puisse-t-il paraître, participe à un équilibre au sein de la dynamique familiale. On y va même d’une comparaison entre la biodiversité et l’infidélité. Vous constaterez par vous-même comment l’actrice amène ce lien saugrenu mais cocasse!
Bien que la lecture des extraits sur la permaculture, par exemple, puisse devenir agaçante ou redondante à la longue, l’idée demeure néanmoins intéressante. L’autrice évite le piège de la «quétainerie» en modelant un sujet, somme toute commun, sous une forme plutôt absurde. En ponctuant ainsi le déroulement de la pièce, elle nous donne l’impression d’avoir sous les yeux un narrateur qui nous trace les grandes lignes, les observations et les constats de cette histoire charmante et bien orchestrée.
Rassurez-vous toutefois: J’t’aime encore n’est pas une lecture statique sur le sujet, avec une actrice postée derrière un lutrin. Au contraire, le mot «monologue» ne devrait pas vous rebuter; la mise en scène de François Bernier est interactive et sans temps morts.
En effet, l’actrice interagit avec le public à certains moments, à la manière d’un humoriste lors d’un stand up comic, et s’amuse avec l’équipe technique, qui semble la narguer en la plongeant dans l’obscurité. Incarnant avec désinvolture son propre rôle, Marie-Joanne Boucher accompagne le spectateur avec humour et sensibilité au sein d’une histoire sans rebondissements, mais intrigante et divertissante.
Si la fin est prévisible, le chemin parcouru n’est pas banal ni sans intérêt. À l’ère des réseaux sociaux où tout le monde s’expose sous son meilleur jour, meublant son image publique de moments épiques, est-ce que le quotidien peut ravoir ses lettres de noblesse? Est-ce qu’on peut diverger de nos idéaux du passé sans questionner l’ensemble de sa vie, sans culpabiliser de juste vouloir vivre paisiblement, sans flafla, sans projecteurs, sans un nombre de like pour se conforter dans le regard extérieur?
J’t’aime encore, c’est comme du comfort food: ça réconforte, même si on connait la recette et les ingrédients. On sort de la salle, la tête légère comme devant un feel good movie.
C’est également agréable de revoir Marie-Joanne Boucher s’approprier la scène avec une aisance et un sens de l’autodérision très cocasse.
«J't'aime encore» au Théâtre La Licorne en images
Par Ariel Tarr
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