ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Simon Gosselin
Filon inépuisable s’il en est un: Tous des oiseaux raconte l’amour impossible entre deux jeunes adultes. D’un côté, Wahida (Nelly Lawson) est une jeune femme aux origines arabe et palestinienne qui évolue dans le champ de la recherche en littérature. De l’autre, Eitan (Jérémie Galiana), qui étudie la génétique, est issu d’une famille juive d’Allemagne. Leur route se croise à New York lors de leur parcours universitaire.
Leur idylle se bute éventuellement à la résistance du père d’Eitan: l’idée que son fils interrompe la lignée de la famille lui est intolérable, à plus forte raison lorsqu’il apprend l’identité de Wahida. Conséquemment, le couple de jeunes adultes décide de se rendre en Israël à la conquête de ses origines. Chacun jettera ainsi un nouvel éclairage sur son histoire personnelle ou familiale.
L’auditoire est propulsé dans l’atmosphère trouble et oppressante de Jérusalem, au confluent de différentes religions et cultures. La guerre y fait rage, semant la mort au moindre détour. Les habitants-es déambulent, hagards-es, dans une nuit infinie, semble-t-il: le temps a beau s’écouler, les victimes continuent de s’amonceler et les confrontations se poursuivent inlassablement.
Malgré tout, pour Eitan, la «seule transmission est génétique, aveugle à tout affect». Ainsi, bien que le peuple juif ait été éprouvé au fil de l’histoire, pour le jeune homme, rien ne sert de cultiver les rancœurs et de maintenir une distance vis-à-vis les autres cultures. Or, les gènes se transmettent-ils effectivement dans l’indifférence des événements auxquels ceux qui les portent sont exposés? Ou bien le tribut de tant de traumatismes, de douleurs infligées à un peuple, se transmet-il de génération en génération?
Une pièce qui capte l’ère du temps
Le récit de la famille du personnage d’Eitan s’inscrit donc dans cette immense toile que dresse le conflit israélo-palestinien, souillé du sang et des larmes de ses victimes quotidiennes. Les membres de la distribution campent admirablement cette galerie polyglotte et bigarrée de personnages, et le tandem Galiana-Lawson bouleverse tout spécialement par sa fougue et son opiniâtreté.
Mouawad a également relevé le pari de monter une pièce en plusieurs langues; or, une telle versatilité inscrit Tous des oiseaux dans un courant résolument moderne, lui conférant un aspect interculturel, alors que les mouvements de populations et les contacts, voire les chocs qu’ils provoquent vont croissant.
Au fil de la longue représentation, les personnages se dressent les uns contre les autres. Éventuellement, l’irruption en Terre sainte du père, de la mère et du grand-père d’Eitan donne lieu à de nombreuses confrontations. On se plaît à observer les personnages se révéler dans leur complexité, évoluer au fur et à mesure qu’ils sont traversés par les évènements. Le conflit resserre une sorte d’étau autour de la famille: confinée, elle sera amenée à se replier sur elle-même, à fouiller sa conscience. En retournant les pierres du passé, le voile sera levé sur certains évènements inattendus.
La vaste scène de la Salle Louis-Fréchette est habitée toute entière par la mise en scène que signe Wajdi Mouawad. Pragmatique, le créateur de renom fait une utilisation modérée de la projection vidéo, tandis que le décor ne compte que quelques éléments de mobilier versatiles.
Heureux de renouer avec son univers, consentant à déambuler dans les méandres – parfois tortueux – de ses intrigues, le public l’a gracié d’une ovation nourrie au terme de la représentation.
«Tous des oiseaux» au Carrefour international de Québec en images
Par Simon Gosselin
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