CinémaCritiques de films
Crédit photo : Les Films Séville
La femme de mon frère relate la relation fusionnelle entre un frère, Karim (Patrick Hivon) et sa soeur, Sophia (Anne-Élisabeth Bossé). Jeune trentenaire diplômée au doctorat en philosophie politique, criblée de dettes et sans-emploi, celle-ci s’installe chez son frère, psychologue de profession et intrépide séducteur. Lorsque ce dernier fait la charmante rencontre d’Eloïse, la gynécologue qui procèdera à l’avortement de Sophia, la dynamique entre frère et soeur sera soumise à de profondes perturbations…
Inspirée par sa propre relation avec son frère, Monia Chokri dépeint, avec une esthétique unique, un film consacré à la famille et à l’apprentissage de l’amour. À travers la quête existentielle de Sophia, la réalisatrice réussit même à tracer un lien entre la réalité singulière de celle-ci et l’expérience des migrants, qui doivent se déraciner de leur quotidien, de leurs familles, pour recommencer à zéro dans un pays qui leur est étranger.
Le parallèle est admirablement bien amené et sert l’action, ainsi que le propos. La cinéaste dépeint une époque entretenant un rapport maladif à l’image, évoquant au passage la superficialité et le vide d’une personne comme Kim Kardashian, un exemple probant de notre société.
Au départ, Sophia et Karim s’empêtrent dans des théories savantes pour éviter de s’exposer, de laisser les émotions les gagner, mais la rencontre amoureuse de Karim viendra chambouler leur parcours respectif. Ce film est un véritable voyage initiatique, partant d’un retour aux sources, en l’occurrence la famille, pour se tourner vers l’avenir, vers l’autre.
Monia Chokri, une grande réalisatrice
Filmé dans le décor enchanteur et bucolique du Mont-Royal en hiver, on reconnaît notamment la patinoire du Lac des castors, ainsi que le quartier Outremont; le film est magnifié par une mise en scène très stylisée. Les scènes entre Sophia et Karim sont souvent filmées grâce à un objectif lointain, comme si c’était le regard omniscient de la scénariste et réalisatrice qui racontait un conte.
La musique classique, essentiellement celle de Jean-Sébastien Bach, mais aussi de Beethoven et Gabriel Fauré, se juxtapose à cet aspect graphique de la réalisation. Ce choix esthétique apporte un aspect visuel sublimé et gracieux.
Chaque plan est savamment orchestré, ne serait-ce que celui intimiste, presque voyeuriste, où l’on assiste au bonheur qui se dessine sur le visage de Karim à travers un élément de décor, un treillis dans le salon de leurs parents excentriques. Ou encore ce plan d’une engueulade entre Sophia et Karim autour d’un souper de famille. Une fleur est disposée subtilement près du cadrage sur chacun des plans individuels de Bossé et de Hivon. À bien y penser, comme le mentionne la cinéaste elle-même, il y a quelque chose qui relève de la bande dessinée, en effet. Les cadrages sont minutieusement dessinés comme les carreaux d’une BD.
Maestro!
La bande originale du film joue un rôle primordial dans la trame narrative du film. Ainsi, les pièces choisies s’inspirent de mélodies plus occidentales au début et évoluent vers des sonorités davantage orientales au fur et à mesure que la quête existentielle de Sophia l’amène à s’ouvrir aux autres.
La scène durant laquelle les parents de Sophia et Karim, Lucie et Hichem (interprétés par Micheline Bernard et Sasson Gabai), se mettent à danser sur Männer Müssen Männer Sein» de la chanteuse allemande Britt Kersten, dans leur salon, est tout simplement un instant de pur bonheur! Ce couple divorcé mais cohabitant sous le même toit est un bon exemple de ces scènes en famille vraiment hilarantes tout au long du film. Leurs discussions animées, peuplées de malaises et de débordements, sont captivantes.
Une distribution de feu
Monia Chokri a su trouver l’équilibre parfait pour incarner cette famille légèrement dysfonctionnelle. Le résultat est à la fois réaliste, crédible et tordant. Sasson Gabai, bon vivant un brin rouspéteur, à la fois flamboyant et dosé, est tout simplement attachant. Micheline Bernard, avec ses mimiques perplexes et sympathiques, nous fait pouffer de rire avant même qu’elle entrouvre la bouche. Évelyne Brochu, malgré qu’elle joue le rôle de la blonde parfaite, nous apparaît simple et avenante. Dotée d’une candeur et d’un naturel, cette dernière apparaît d’ailleurs toujours vêtue de vêtements aux tons ivoire et beige, lui conférant un aspect angélique.
Mention spéciale à Mani Soleymanlou, qui incarne l’ami d’Eloïse invité au restaurant pour une date pas très subtile, qui tente une approche maladroite et gênée auprès de Sophia. Scène épique. Fous rires garantis. Les répliques s’enchaînent et s’entrecoupent avec un sens du timing efficace et survolté.
Enfin, le célèbre duo frère et soeur ne saurait opérer sans le charisme séduisant de Patrick Hivon. On est loin de mépriser celui qui semble un habile conquérant auprès de la gent féminine. Il n’a pas à jouer le rôle du séducteur, il est d’un naturel séduisant. Qui ne rêverait pas d’avoir ce grand frère avec qui se chamailler à coups d’oreiller?
La symbiose avec Sophia apparaît parfois étrange, notamment sur le plan de l’intimité (laisser entrer son frère dans la salle de bain pendant qu’elle prend son bain, pas sûre à l’âge adulte…) Pourtant, cette proximité presque étouffante permet de ressentir l’abandon que vit Sophia lorsque Eloïse débarque dans le portrait.
Et l’Iris pour le meilleur rôle d’interprétation féminine est remis à…
Gala Québec Cinéma, vos paris pour 2020? La prolifique Anne-Élisabeth Bossé pourrait bien rafler le prix de l’interprétation féminine. À mon avis, c’est son meilleur rôle, tant pour son côté sarcastique que la justesse avec laquelle elle incarne un personnage complexe, un personnage qui se cherche profondément; tant pour la résistance dans laquelle son personnage se cantonne au début que la transformation lumineuse à laquelle assiste le spectateur. Elle est tout simplement merveilleuse, offrant un jeu nuancé et incarnant avec authenticité un scénario dense et étoffé. Celle qui est reconnue davantage pour son côté clown livre ici une prestation bouleversante.
C’est un honneur que Monia Chokri lui ait confié ce rôle d’envergure. Pas juste un personnage de fefille a.k.a. Maxime dans Les Simone, mais enfin un personnage avec du contenu à la hauteur de cette interprète. Je souhaite à la réalisatrice d’autres projets de cette ampleur créatrice, car elle sait exprimer en images et en mots une sensibilité bien dosée pour faire ressurgir l’émotion au moment opportun. On en veut encore de ces personnages féminins d’une authenticité réelle. Sans fard et sans masque.
Personnellement, mon film fétiche québécois était La vie avec mon père (2005) de Sébastien Rose. Eh oui, encore un film sur la famille! Je pouvais le réécouter quatre fois par année. Aujourd’hui, désolée Sébastien, votre film est loin d’être relégué aux oubliettes, mais le voilà simplement délogé de son trône par celui d’une femme dont la carrière de réalisatrice est relativement jeune, mais promise à un avenir fulgurant.
La femme de mon frère en est la preuve avec sa résonance à l’international!
«La femme de mon frère» en images
Par Les Films Séville
L'avis
de la rédaction