ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Marilou Nadeau
1. Max-Otto, on aimerait que tu nous racontes comment tu as eu l’appel de la conception visuelle; comment la scénographie est-elle arrivée dans ta vie?
«Je suis d’abord le fils de parents hors du commun qui m’ont élevé dans un univers de curiosité et de totale fantaisie. Ma mère (profonde amoureuse du verbe) m’a appris à lire, à écouter et à saisir. Mon père (un directeur artistique pilier du cinéma québécois) m’a appris à regarder, à inventer et à construire. Avec lui j’ai découvert l’envers du décor, et j’étais fasciné de voir se construire un village entier en un temps record afin qu’il joue son rôle à la caméra. L’appel du visuel s’est donc imposé naturellement grâce à eux deux, quelque part entre l’amour du texte et le besoin de le mettre en espace.»
«Mon passage à l’École nationale de théâtre du Canada à re-brassé les cartes quand Denise Guilbault (alors directrice à l’ENT) m’a offert ma première conception à ESPACE GO, alors que j’envisageais plutôt le cinéma que la scène. J’avais toujours imaginé l’écran comme le seul quatrième mur qui soit. Je ne m’attendais pas à tomber amoureux de la salle de répétition et de ses échanges. De la boîte noire. De l’audience vivante. L’adrénaline d’un plateau de tournage n’a rien à voir avec celle de la scène, mais les deux me sont encore essentielles.»
2. En tant que scénographe, est-ce que tu travailles seul avec un texte et des idées dans ta tête ou plutôt conjointement avec une équipe de créateurs et un metteur en scène, avec qui tu façonnes des idées?
«Une amie, Stéphanie Jasmin, me l’a récemment rappelé: au théâtre, on n’est jamais seul. C’est un milieu d’électrons libres; des artistes passionnés qui s’abandonnent à la construction d’un objet que personne ne peut construire seul.»
«J’ai souvent la chance de côtoyer les auteurs dont je mets le texte en espace; espace qui ne prend vie qu’au contact de la lumière. Cette lumière co-existe en symbiose avec l’atmosphère sonore; son qui rythme la performance des personnages. Ces personnages sont dessinés par les costumes; costumes portés par l’interprète, et le tout ne trouvera son sens qu’à la direction de la mise en scène! En d’autres mots, le scénographe entame sa réflexion à partir d’une matière déjà richissime, mais pour présenter au monde son travail, il devra savoir s’entourer.»
«Dans mon cas, l’inspiration pour le design naît à peu près toujours d’un objet ou de l’embryon d’un objet qui existe déjà. Un texte, un mouvement chorégraphique, un scénario, une toune ou un album, etc., que d’autres artistes ont déjà inventé. Dès lors, pour moi, s’entame l’exercice de co-création.»
3. Comment conçois-tu tes scénographies et par quoi te laisses-tu inspirer pour ton travail?
«Il y a un moment assez spécial en création qui récidive toujours en début de parcours. C’est l’étrange espace-temps où le concepteur se retrouve seul devant sa maquette et alterne inlassablement entre le doute et l’eurêka.»
«J’adore le moment où j’ai «trouvé» ce que je veux dire, mais sans encore savoir comment le mettre en forme. C’est à ce moment-là que je me rappelle à l’ordre et que je retourne au texte. L’étape de recherche m’est autrement exaltante et absolument indispensable, mais toute inspiration extérieure au texte me semble futile, tant et aussi longtemps que je n’en ai pas d’abord saisi le sens et ce qu’il éveille en moi.»
«Personnellement, je compte beaucoup sur l’écoute. Enregistrer une lecture m’est devenu indispensable, parce que les images et les atmosphères (même les plus floues) naissent pour moi d’un mouvement émotif, d’abord et avant tout. Rien ne m’est plus précieux en conception que d’écouter un texte en mode repeat pendant que je m’affaire à autre chose; comme une chanson qu’on connaît par cœur et qui nous habite avec son lot d’images.»
4. À quoi ressemble une journée typique pour toi en tant que scénographe? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour qu’on comprenne bien ton quotidien!
«Ma journée typique a un attribut sublime: celui d’être complètement différente de la précédente. Avec chaque projet vient son lot de réunions de production, de nuits de dessins, d’apéros de conception, de nuits de dessins, de réunions d’urgence, de nuits de dessins, de confection d’accessoires, de présences aux moments-clés de répétition et de suivis de construction!»
«Et quand les projets se superposent, mon quotidien est le genre de montagnes russes que je ne me tanne pas de rider!»
5. Quels ont été tes plus grands défis à relever en carrière?
- «Réconcilier les aléas de la création aux aléas de la vie»
- «Elfriede Jelinek»
- «Le système métrique»
6. Est-ce qu’il y a une ou quelques productions sur lesquelles tu as travaillé dont tu es particulièrement fier ou qui t’ont particulièrement marqué?
«Tellement! (45 minutes plus tard)… bon. J’examine mon CV en quête de name dropping et je m’avoue un peu étourdi devant la multitude de rencontres qui ont provoqué des révolutions en moi… En fait, je me trouve marqué par certaines productions comme on l’est par un summer love. L’intensité du moment est souvent telle qu’on en garde une profonde empreinte.»
«Mais du travail duquel je reste encore le plus fier, il y a certainement Blanche-Neige et La belle au bois dormant, Cinq visages pour Camille Brunelle et Lumières, lumières, lumières… et maintenant 21!»
7. Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme scénographe, selon toi, et qui fait que ta signature visuelle est reconnaissable?
«La confrontation ne fait pas partie de mes outils d’expression. Si je semble développer une griffe particulière, ce n’est donc pas en imposant mes idées, mais c’est peut-être grâce un truc essentiel et sous-estimé: l’écoute.»
«L’art vivant suppose la rencontre de tant d’artistes et d’idées. Il n’y a qu’avec l’esprit ouvert et l’oreille affûtée qu’on peut réellement accéder à l’imaginaire de son interlocuteur. Lorsque la connexion s’opère, j’arrive à intégrer nos points de vue dans l’ADN de ma conception, et c’est souvent la source d’espaces uniques et autrement improbables.»
8. Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«21, de Rachel Graton, dans une mise en scène d’Alexia Bürger! Il faut que tu viennes voir 21 au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui d’ici au 8 mai!»
Surveillez notre prochaine chronique «Dans l’envers du décor» à paraître le 20 mai 2019. Pour lire nos précédentes entrevues, c’est par ici!
«Dans l’envers du décor» avec Max-Otto Fauteux en images
Par Caroline Laberge, Valérie Remise, Yves Renaud, Jérémie Battaglia, courtoisie Max-Otto Fauteux